Dans l'ombre de la reine
chevaux paresseux comme Escargot sont moins dangereux, mais fatigants. En outre, elle tient mieux en selle à califourchon ; son assiette est bien plus sûre. En général, je n’aime pas voir les femmes en hauts-de-chausses, mais sur elle, c’est tout à fait plaisant. On ne se relâche pas ! ajouta-t-il, élevant la voix afin de se faire entendre de Dale, qui tournait en rond au petit trot. La jument ne vous obéira pas si vous vous affalez !
Il se retourna vers moi et ses yeux gris-bleu fixèrent les miens intensément.
— Nous avons rencontré un léger problème, néanmoins. Elle dit que les étrivières la pincent. Je me demandais, madame, si je pouvais vous importuner afin d’avoir votre avis ?
Il expliqua à Matthew avec courtoisie :
— Si notre maîtresse voulait bien descendre et aller voir de l’autre côté de l’enclos, je crois que Dale l’apprécierait. Le cuir frotte sur ses jambes et elle a honte de les montrer devant un homme.
— Mais bien sûr, approuva Matthew, amusé. Je resterai ici !
Je mis pied à terre, tendis mes rênes à Matthew et me dirigeai vers le portail. Brockley, criant à Dale d’approcher, me rejoignit, et nous traversâmes le terrain herbu dans sa direction.
— Pas une très bonne excuse, mais la meilleure que j’aie trouvée, souffla Brockley. Dale m’a dit que vous vouliez me parler en privé.
— En effet. Il est temps d’organiser notre évasion.
J’avais dû me montrer prudente. En dépit de mes affirmations diplomatiques, Matthew me surveillait non seulement avec amour, mais avec une vigilance que je devais assoupir. C’est pourquoi je m’étais installée dans une routine. Chaque matin, après les prières et le petit déjeuner, j’allais à la cuisine donner mes ordres pour la journée, après quoi – excepté l’unique dimanche que j’avais passé à Withysham, et où nous étions allés à la messe – Matthew m’emmenait faire une promenade à cheval, sur ma requête. J’avais besoin de grand air et d’exercice, lui avais-je expliqué. La semaine suivante, nous irions à Westwater et, si cela lui agréait, nous ramènerions Meg. « Je ne lui rendrai pas visite d’ici là ; la séparation qui suivrait la peinerait encore. Elle est habituée à sa vie paisible auprès de Bridget. »
J’espérais paraître convaincante, comme si je m’étais totalement résignée. Je m’efforçais cependant de ne pas trop en faire. Tout était une question de nuance.
Après la promenade quotidienne, j’examinais les comptes de la maison avec Mr. Malton et, après le dîner, Dale et moi cousions, ou alors je m’exerçais sur l’épinette en suivant les instructions du jeune maître de musique. Le soir, je jouais aux dames ou aux échecs avec Matthew, jusqu’au souper. Puis nous allions nous coucher, et la nuit recelait sa propre magie.
Oh oui, oh, mon Dieu ! Quelle magie ! Comment pourrais-je y renoncer ?
La pensée insidieuse s’insinua tel un serpent dans mon esprit que ce serait facile, si facile. Il me suffisait de m’abandonner à cette routine de journées agréables et de nuits lumineuses. Il me suffisait de ne rien faire du tout. Brockley m’observait du coin de l’œil. Il s’attendait à demi à ce que je me ravise et décide de rester.
— Demain, lui dis-je, si le temps le permet. Dale est-elle prête ?
— Presque. Elle fait des merveilles depuis qu’elle monte à califourchon, cependant le problème des étrivières est bien réel. Plaise au ciel que notre plan réussisse !
J’avais pu lui donner ouvertement des instructions concernant la nouvelle monture de Dale et ses hauts-de-chausses, mais le reste était plus délicat ; c’est pourquoi j’avais eu besoin de cette conversation secrète. Nous avions défini un plan, mais par bribes, à mi-voix au-dessus du garrot d’Étoile quand Brockley l’amenait pour moi devant la porte chaque matin. De telles conditions ne nous permettaient guère d’affiner les détails de notre conspiration.
— En cas d’échec, répondis-je, nous n’aurons pas de seconde chance.
— Et il n’y a pas d’autre voie. J’ai inspecté chaque pouce des murs. L’idée m’est bien venue de provoquer un incendie…
— À moi aussi.
— C’est vrai, madame ? Je pense toutefois que ce plan-ci est préférable.
Il m’observait de nouveau du coin de l’œil et je tournai la tête pour le regarder en face. Une fois de plus, il me fixa avec
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