Dans l'ombre de la reine
que moi.
— Catherine Grey ! fulmina-t-elle. Elle est pire que ces hommes. Elle en avait après mon trône ! Smith jure que Derby et lui agissaient au mieux de mes intérêts, par fidélité envers moi, et que la vie qu’ils ont ôtée était de toute manière promise à Dieu. Logique contestable, mais que je crois sincère. Derby a regagné ses terres ; on lui recommandera de ne pas les quitter. J’apprends que Cecil a déjà eu une vive discussion avec Smith. Bien, bien. Un jour, je trouverai le moyen d’employer leur fidélité à de meilleures fins. Je ne peux me dispenser de sujets loyaux, en vérité. Mais Catherine ! J’aimerais voir sa tête sur le billot !
Il y eut un silence – de ces silences qui emplissent une pièce, et durant lesquels surgissent des images aussi terrifiantes que dans un donjon sans lumière.
— Je ne le pensais pas, se reprit la reine. Non, pas le billot. Mais elle ne sera jamais mon héritière et je ne lui permettrai pas de se marier. Je vois clair en elle, à présent. Quant aux subalternes, Verney et Holme, ils obéissaient à leurs maîtres. On les surveillera à l’avenir, voilà tout. Les masques sont tombés. Nous vous devons bien des remerciements, Ursula. Cecil a-t-il veillé à ce que vous soyez récompensée ?
— Oui, madame. Il a en outre payé avec largesse mes serviteurs Brockley et Dale, pour leur comportement exemplaire envers moi.
— Et votre fille ? Il a porté cette question à mon attention. Une chaumière n’est pas le lieu qui convient aux filles de mes dames d’honneur. J’ai donné des ordres.
— En effet, madame, et je vous en suis reconnaissante. Meg et sa nourrice vont s’installer chez des amis de Lady Cecil, tout près de Richmond. Meg recevra l’éducation d’une jeune fille bien née, mais gardera toujours sa nourrice auprès d’elle et je la verrai régulièrement.
— Bien. Elle se verra pourvue d’une dot. Un jour, nous danserons peut-être à son mariage.
Élisabeth cessa de faire les cent pas.
— Je vous ai fait appeler, et alors que je comptais vous remercier, je me laisse emporter par la colère. Je suis navrée, Ursula. Vous avez consenti à un immense sacrifice, par amour pour votre reine : celui de votre mariage. Je ne m’enquerrai pas de vos sentiments ; ceux-ci dépassent mon imagination. D’après Cecil, vous vous réjouissez que messire de la Roche se soit échappé. N’ayez pas peur de l’admettre ! Nous ne vous décapiterons pas pour cela !
— Oui, madame, j’en suis heureuse.
Je l’avais placé dans un tel danger ! Peut-être ma conception de ma loyauté envers Élisabeth était-elle tortueuse. Il se trouvait sans doute dans la vallée de la Loire, à présent. Si j’étais restée avec lui, nous y serions ensemble. Dans l’intimité de ces quelques nuits, il m’avait parlé du fleuve au cours paresseux, entre les douces collines, et m’avait dépeint la vie qu’il voulait que nous menions en France. Aurais-je trouvé le bonheur là-bas, après tout ? Je ne le saurais jamais.
— Il est une autre chose pour laquelle je dois vous remercier, Ursula. Non contente de déjouer deux complots, vous avez en outre lavé le nom de Dudley, du moins en ce qui me concerne. La vérité restera secrète, mais nous sommes satisfaite de savoir qu’il n’a eu aucune part dans la mort de son épouse.
Je ne dis mot. Il était évident pour la cour entière qu’il conservait tous ses espoirs, mais je priais afin qu’elle ne le choisît pas pour mari. Un homme capable de s’éprendre d’une femme, de coucher avec elle, puis de lui reprendre son amour aussi complètement que Dudley l’avait fait avec Amy pouvait agir de même envers une autre. Qu’éprouvait Élisabeth ? Elle était soulagée qu’il fût innocent, mais elle parlait de lui avec froideur et avait employé le pluriel royal. Cette femme était une énigme.
Elle m’adressa un léger sourire.
— Vous semblez intriguée, Ursula. Je vais vous faire un aveu ou, disons, une confidence. Vous avez déjà démontré que vous méritez ma confiance. Vous aimez de la Roche, pourtant vous avez renoncé à lui. Pour cela, je vous admire. Je sais, moi aussi, ce que c’est que d’aimer et de se détourner de cet amour. J’ai compris dès le début que je n’épouserais jamais Robin Dudley, même si Amy n’existait pas.
J’étais perplexe, en effet, et mon expression devait le révéler. Sans précaution pour son vertugadin,
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