Dans l'ombre de la reine
qu’il eût préféré rester à l’intérieur à déguster une cruche de bière fraîche. Moi en tout cas, si j’avais eu le choix, je n’aurais pas hésité.
Outre la reine et moi, les dames du groupe incluaient Lady Katherine Knollys, qui en imposait sur son alezan un peu ostentatoire, mais bien dressé, et Lady Catherine Grey, qui tanguait sur un hongre marron impassible. Elle était piètre cavalière et ne venait chasser que parce qu’il le fallait. De plus, en tant qu’héritière du trône aux yeux des protestants, elle devait être vue régulièrement auprès de la souveraine en titre. Enfin, aussi près qu’elle l’osait ! Elle semblait craindre le bai rétif d’Élisabeth.
Comme toujours lors de ces sorties, nous étions suivis par les assistants et les fauconniers, certains à cheval, les autres à pied. Les chasseurs lançaient leur rapace, puis remettaient alouettes, merles et grives aux assistants à cheval, qui rebroussaient chemin pour les déposer dans les gibecières des gens à pied. Les sacs ne s’emplissaient pas très vite, car la chasse était médiocre. Même les oiseaux chanteurs se réfugiaient à l’ombre par cette chaleur.
Les mouches étaient exaspérantes. Je les chassais avec une branche de fougère que j’avais cueillie en me penchant, non sans péril, de ma selle. Ma peau fourmillait sous mon costume d’amazone, et je fus soulagée quand, enfin, nous fîmes demi-tour pour rentrer.
La reine et Dudley allaient toujours en tête, Lady Catherine restait de l’autre côté d’Élisabeth, à distance prudente. Les tours du palais approchaient et je rêvais de boisson fraîche et de repos, peut-être sur mon lit, quand Arundel aperçut une tourterelle des bois en plein vol. Il prit l’autour perché sur le poignet de son hôte et le lança vers le ciel.
Ensuite, tout s’enchaîna très vite. Le faucon, surpris, hésita un moment et sa proie, alertée par son ombre, s’enfuit vers un bois où les branches empêcheraient le prédateur de fondre sur elle. Elle passa juste au-dessus de nos têtes. L’autour l’avait aperçue et lui donna la chasse. Il plongea comme une flèche sous la tourterelle, remonta et la heurta. Les deux volatiles descendirent parmi nous dans un battement d’ailes véhément et une nuée de plumes grises. Ils tombèrent entre la reine et Lady Catherine Grey, aux pieds de Véronique. Les trois chevaux prirent peur, même le hongre placide de Lady Catherine, qui s’agrippa avec frénésie au pommeau de sa selle. Véronique se cabra, agitant ses antérieurs en l’air. L’étalon de la reine, les oreilles couchées, s’emballa et prit le mors aux dents. Il quitta la piste, dévala une pente jalonnée de broussailles, de terriers de lapins, de déclivités plongeant sur d’étroits sentiers – autant de périls pour un cheval affolé.
Dudley piqua des deux et le rattrapa bientôt. Tendant une main puissante vers sa bride, il força le bai à décrire un cercle pour le ralentir. Quelques instants plus tard, ils revenaient vers nous au petit trot. La reine riait en disant à Dudley qu’elle eût maîtrisé seule sa monture s’il l’avait laissée faire, et le taquinait sur sa pâleur.
Pendant ce temps, le cheval de Lady Catherine avait reculé contre celui de l’hôte d’Arundel qui, en réponse aux cris suraigus de la jeune femme, avait saisi avec galanterie les rênes du hongre pour l’immobiliser.
Je ne dus compter que sur moi-même pour retenir Véronique et rester en selle. Arundel, le seul susceptible de m’aider, béait d’horreur devant le drame dont la reine était le centre, sans remarquer mes difficultés. Le sauveteur de Lady Catherine me lança un regard soucieux, désolé de ne pouvoir me secourir. Je serrai le pommeau entre mes genoux, conservai mon assiette et tirai sur le mors pour ramener la mâchoire de Véronique contre son poitrail. Elle cessa de se cabrer et je la réconfortai de la voix tout en l’éloignant du faucon qui s’acharnait sur sa proie.
Arundel, blême et les bajoues tremblantes, mit pied à terre pour le reprendre. Lorsque la reine et Dudley nous rejoignirent, il bredouilla une excuse, mais elle continua à rire comme si le danger n’avait fait que la stimuler.
— Ce n’était pas votre faute, Henry. Comment auriez-vous deviné que cette tourterelle déciderait de voler au-dessus de nous ?
— Néanmoins, madame, je ne saurais exprimer combien je regrette…
— Plus de peur que de
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