Dans l'ombre de la reine
parages, autant parler au mur.
Il ôta son bonnet de velours roux et tamponna la naissance de ses cheveux avec un mouchoir.
— Il fait trop chaud pour chasser aujourd’hui. D’ici une heure, on aura l’impression de frire dans une poêle.
— Surtout que, pour ma part, j’ai passé une nuit blanche, lança d’un ton traînant un gentilhomme de haute taille, au visage arrogant, qui se nommait Sir Richard Verney. Je sens que je vais m’endormir en selle.
C’était un des hommes de Dudley. Je me demandais s’il s’offusquait d’entendre parler de son maître en ces termes cinglants et s’il lui rapportait tout ensuite. Nul ne semblait s’en inquiéter.
— Vous ne devriez pas jouer aux cartes jusqu’à l’aube ! riposta quelqu’un, provoquant l’hilarité générale.
— Eh bien, rétorqua Smith à Verney, vous ne risqueriez pas de vous endormir sur ce maudit étalon irlandais que Dudley a acheté pour la reine.
L’animal en question, richement caparaçonné, tournait autour du palefrenier qui le tenait. Nous avions tous éloigné nos montures de crainte d’une ruade.
— À croire qu’elle cherche à se rompre le cou ! maugréa Sir Thomas.
— J’en ai averti Dudley, remarqua Verney, mais, comme à son habitude, il n’a pas tenu compte de mon avis.
— Je sais : j’y étais. Il vous a traité de femmelette. Trois garçons d’écurie et un cocher l’ont entendu comme moi, gloussa Smith.
Les pommettes hautes de Verney s’empourprèrent. Je compris qu’aucun d’eux ne se gênait pour critiquer Dudley en sa présence, pour la bonne raison qu’il partageait leur opinion.
— Un jour, il se mordra les doigts d’avoir fait fi de mes conseils, insinua-t-il, menaçant. Ah ! Voici la reine !
— Et Dudley ! bougonna Sir Thomas Smith.
La cour s’était déplacée durant l’été, mais dès juillet nous étions de retour à Richmond. C’était un des palais favoris d’Élisabeth ; elle aimait en particulier se promener à cheval et chasser dans le parc. Elle n’annulerait pas une chasse au faucon à cause d’une vague de chaleur. Je faisais partie du groupe parce que je montais seule, et non en croupe. Peu de dames en étaient capables, et la reine appréciait cette qualité.
Quand elle découvrit que je la possédais, elle me permit d’emprunter des chevaux aux écuries royales.
Cependant, je devais me contenter des montures disponibles, et cette fois je me retrouvais sur une petite rouanne bleue nommée Véronique. Jeune et dressée depuis peu, elle regimbait pour la moindre raison – le vol d’un merle au-dessus du chemin, un cerf sortant à découvert ou un éternuement. Avec elle, je ne devais pas relâcher ma vigilance un instant et, par ce temps, c’était une rude épreuve.
La reine et Dudley étaient trop absorbés l’un par l’autre pour remarquer la chaleur, mais nous commençâmes à en souffrir avant même de nous enfoncer au plus profond du parc. Sir Thomas Smith, à califourchon sur un robuste cheval de bât, était déjà écarlate avant de quitter la cour d’honneur.
Dieu qu’il faisait chaud ! Les douces collines miroitaient, l’herbe et les fougères jaunissaient dans les clairières. Sur les branches, les feuilles pendaient, languissantes, et quand nous arrivâmes en vue d’un étang, le scintillement de l’eau suffit à nous blesser les yeux. La terre battue avait durci, sur les chemins, et çà et là nous distinguions un frémissement d’ailes transparentes – un nid de fourmis. Les mouches bourdonnaient autour des chevaux et des cavaliers.
Comme d’ordinaire, Élisabeth et Dudley allaient côte à côte, elle sur son fougueux cheval irlandais, bai avec une étoile blanche, et Dudley sur un puissant étalon noir. Il semblait faire corps avec sa monture, au point que ses pires détracteurs le contemplaient avec une admiration involontaire. Il portait un autour capable de saisir un lapin. Le hobereau de la reine, malgré sa taille modeste, pouvait emporter de plus grosses proies que l’émerillon utilisé en général par les dames. La plupart des gentilshommes disposaient eux aussi d’autours, mais quelques-uns les lançaient à tour de rôle. Parmi ceux-ci se trouvait un inconnu brun et mince qui était l’hôte d’Arundel, arrivé la veille. Dans la cour d’honneur, il s’était tenu en retrait, mais à présent il avançait à côté du comte, dont il lançait le faucon de temps en temps. J’étais sûre
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