Dans l'ombre de la reine
mal ! le rassura Dudley, qui ajouta toutefois d’un ton tranchant : La chasse est finie pour aujourd’hui. Plus de lancer, s’il vous plaît, mesdames et messieurs. Lady Katherine, voulez-vous venir auprès de Sa Majesté, je vous prie ? Votre cheval est calme et apaisera le sien.
Personne ne souleva d’objection, mais alors que nous nous remettions en route, Sir Thomas s’avança à la hauteur d’Arundel et grommela que Dudley se donnait de bien grands airs et se sentait par trop libre de régenter son monde.
— La reine le permet, objecta Arundel. Qu’avons-nous à dire, dans ces conditions ?
— Beaucoup de choses ! La reine est jeune et déraisonnable. Quelqu’un devrait la mettre en garde. Ce pays se trouvera dans un beau guêpier pour peu qu’elle se tue avant d’avoir donné le jour à un héritier – espérons qu’il ne sera pas de Dudley ! Si, malgré l’impression de Cecil, Lady Dudley se meurt… Quelqu’un sait-il à quoi s’en tenir là-dessus ?
— Non, répondit Lady Catherine Grey qui, avec son insouciance coutumière, ajouta très haut : Mais il est à souhaiter que, si elle disparaît, la reine ne s’abaisse pas à épouser son Maître des écuries !
Dudley entendit à coup sûr, car il lui lança un regard hostile. Ils étaient parents par alliance, cependant ils ne s’appréciaient pas. Lady Catherine esquissait toujours un mouvement de recul quand il s’approchait d’elle, comme effarouchée par son intense virilité, et parfois, il la regardait tel un chat observant un moineau qu’il épargnait pour l’instant, par pure paresse.
Alors, sans qu’on s’y attende, il tira sur les rênes pour se placer à notre hauteur et nous adressa un sourire impudent.
— L’ennui est que chacun a son candidat favori et qu’ils sont tous différents. Prenez donc Arundel ! Nous savons qui a sa faveur.
Henry FitzAlan, déjà rubicond à cause de la chaleur, s’empourpra davantage et jeta à Dudley un regard noir.
Celui-ci sourit de toutes ses dents.
— Ensuite, il y a Derby, continua-t-il, passant du prétendant éconduit à Edward Stanley, pour la plus grande gêne de celui-ci. Vous soupirez de regret depuis que Philippe d’Espagne a épousé sa princesse française, quittant ainsi le bas de la liste des partis possibles pour la reine.
— Nous avons déjà subi son joug du temps où il était marié à la reine Marie, rétorqua Smith d’un ton sec. Personne ne voulait plus de lui.
— Le royaume avait beaucoup à gagner d’une amitié avec l’Espagne, lui opposa Derby.
— Sur ce point, je vous rejoins, approuva Arundel. Sans doute eût-il mieux valu qu’il revînt pour épouser notre reine qu’en conquérant, pour prendre l’Angleterre par la force, comme c’est à craindre.
— Oh, il n’en fera rien ! affirma Dudley, flegmatique. Il n’a pas les moyens de financer une invasion. Il est endetté jusqu’à sa barbiche espagnole. Demandez donc à dame Blanchard ! Elle le sait bien.
À mon vif embarras, tous se mirent à me fixer et rapprochèrent leurs chevaux de Véronique. L’hôte d’Arundel manifesta son étonnement :
— Je ne comprends pas.
— Mon ami Matthew de la Roche, présenta Arundel. Matthew, voici dame Ursula Blanchard, arrivée à la cour il y a peu. Son époux est mort l’hiver dernier.
— Ils vivaient à Anvers, à l’époque, auprès de Sir Thomas Gresham, précisa Dudley. Son mari occupait de hautes fonctions et j’ai parfois entendu dame Blanchard parler de leur vie là-bas. Vous observez toujours une discrétion remarquable, ajouta-t-il à mon adresse, mais c’est inutile en la présente compagnie. Les membres du Conseil sont dignes de confiance. Pourquoi ne pas nous éclairer de vos lumières ?
Venant de Dudley, cela équivalait à un ordre.
— Gerald, mon époux, travaillait en effet pour Gresham. Et le roi Philippe est couvert de dettes.
En fait, c’était Gerald qui avait découvert l’état désastreux de ses finances.
— Le roi d’Espagne a sollicité de lourds emprunts auprès des banquiers bruxellois. Pour l’heure, il n’est pas à même de préparer une invasion.
— Ah ! s’exclama de la Roche. Sir Thomas Gresham… Un personnage célèbre, par les temps qui courent. Ceci explique cela. Gerald Blanchard ? Un patronyme français et un prénom irlandais. Voilà une association inhabituelle, remarqua-t-il en me souriant.
— La mère de mon mari, d’origine irlandaise,
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