Dans l'ombre de la reine
quelque sorte. J’ai préféré entrer au service de la reine et recevoir des appointements – certes modestes, mais qui m’évitent de vivre d’une charité dispensée de mauvaise grâce. Je ne me plains pas. Néanmoins, je ne peux me permettre d’acheter et d’entretenir un cheval.
— Je suis sincèrement navré, m’assura messire de la Roche, qui paraissait très ému. J’ignorais tout. Je vous en prie, acceptez mes excuses. Je n’avais nul désir de vous blesser. J’éprouve le plus vif respect pour ceux qui, comme vous, affrontent l’adversité avec courage. S’il y a bal ce soir, et que je vous invite pour une gaillarde, accepterez-vous ?
Je scrutai ces yeux sombres et j’y lus du remords, de la compassion et autre chose aussi.
De l’admiration. Pas seulement envers une jeune veuve faisant son chemin dans le monde malgré ses difficultés, mais celle d’un homme pour une femme qu’il désire.
Nous étions au milieu d’un été languide, et Gerald m’avait quittée depuis plus de six mois. Au tréfonds de moi, un désir fugitif vibra en retour.
Je le foulai aussitôt aux pieds. Non ! protesta une voix outrée dans ma tête. Non ! Ce n’est pas Gerald. Il ne saurait y avoir personne pour toi, excepté lui.
Cependant, je ne pouvais rejeter l’invitation. Je n’avais plus dansé depuis mon veuvage, mais peut-être était-il temps de desserrer les liens de l’affliction.
— Messire de la Roche, je serai ravie de danser avec vous. Et si j’ai été discourtoise, je le regrette.
Matthew de la Roche éclata de rire.
— Dame Blanchard, je préfère qu’une conversation ne manque pas de sel, comme un bon dîner.
Je ris, moi aussi, et me montrai agréable pour compenser. J’espérais qu’il ne se méprendrait pas sur mon attitude. J’espérais aussi qu’il n’avait vraiment aucune raison de se méprendre.
Les jours suivants, Matthew de la Roche ne disparut pour ainsi dire jamais de ma vue. Il semblait que j’étais partie chasser, jeune veuve sans attache, et que j’étais revenue avec un soupirant. Je ne voulais pas être courtisée, me disais-je, néanmoins j’acceptai son invitation au bal ce même jour parce que j’avais envie de danser. Ensuite, je n’aurais pu le quitter sans me montrer grossière, ce que je ne voulais pas non plus.
Il fut vite évident qu’il se conduisait envers moi comme Dudley vis-à-vis de la reine. Il était toujours là. Nous dansions ensemble ; il sortait à cheval avec moi. Il m’invitait à le regarder s’entraîner au jeu de paume et à la joute, où il excellait ; je savais qu’il était fier de son talent, et plus encore d’en faire montre devant moi.
Quand, avec d’autres membres de la cour, j’accompagnais la reine en promenade, je le trouvais à mes côtés. Puis de nouveau le dimanche suivant, où le public était admis dans la salle d’audience afin de voir la reine se rendre à la chapelle. Il semblait m’apprécier pour les mêmes raisons que Gerald, parce qu’il était séduit par mes cheveux bruns et mon visage pointu, et que mon sens de la repartie lui paraissait piquant et non répréhensible.
Sur bien des plans nos esprits s’accordaient, et il m’attirait. Avant longtemps, je sus que cette attraction ressemblait à celle d’un précipice, car j’éprouvais une fascination mêlée de frayeur. Je n’étais pas toute seule à nourrir des doutes. Vint le jour où je fus convoquée dans la chambre de Kat Ashley. Lady Katherine s’y trouvait aussi. Elles me contemplèrent avec inquiétude.
— Ursula, ma chère… dit dame Ashley en tapotant la banquette de la fenêtre, auprès d’elle.
Sentant qu’on allait aborder une affaire sérieuse et ne sachant laquelle, je restai debout.
— Oui, dame Ashley ?
— Que c’est donc difficile !… Nous ne songeons qu’à votre bien. Mais la reine elle-même a remarqué que l’invité d’Arundel, Matthew de la Roche, recherche avec assiduité votre compagnie. Nous avons cru comprendre qu’il est veuf. Ses intentions à votre égard sont-elles honnêtes ?
— Je l’ignore, dame Ashley.
Elle me mettait toujours mal à l’aise. Elle portait le même intérêt avide aux affaires de cœur qu’une commère de village, dont l’occupation favorite est de se répandre en ragots autour du puits.
— Il n’y a rien à dire contre lui pour autant que l’on sache. L’ennui, c’est que nul ne semble savoir grand-chose à son sujet, me dit d’un
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