Dans l'ombre de la reine
avait choisi son prénom. Son nom lui venait de son grand-père, Français de naissance, qui avait épousé l’héritière du domaine et y avait fini ses jours à ses côtés.
— Et vous, dame Blanchard ? Êtes-vous de souche anglaise, ou comptez-vous des ascendances variées, comme votre époux ?
— Je suis anglaise, née Faldene. Mais votre propre nom a aussi une consonance française.
De plus, je croyais bien déceler une pointe d’accent dans ses paroles.
— Mon père était français et ma mère anglaise. Je suis un cousin éloigné de FitzAlan. De quelle région de l’Angleterre venez-vous ?
— Du Sussex.
— Ah ! Je pensais bien connaître votre nom, quoique je n’aie pas eu l’honneur de rencontrer votre famille. Je viens de m’installer dans le Sussex. J’ai passé le plus clair de mon existence en France, mais, l’an dernier, à la mort de mon père, ma mère a eu la nostalgie de l’Angleterre et nous avons acheté ici une propriété. Hélas, elle n’aura pas survécu à son époux très longtemps. Je projette toutefois des embellissements pour ma nouvelle demeure, bien qu’il reste beaucoup de choses à régler. Cela m’a tant occupé que je n’ai pas eu le loisir de frayer avec la bonne société.
Sa voix et son accent étaient agréables. Il n’était pas beau au sens conventionnel, avec ce long menton et ces larges épaules anguleuses, mais il émanait de lui une vitalité séduisante, et j’aimais ses yeux. Sombres, en amande sous des sourcils d’un noir de jais, ils exprimaient un léger amusement. Sa manière d’observer son interlocuteur, comme s’il tenait à percer ses sentiments et ses pensées, me rappelait Gerald.
Je me mordis la lèvre. Un bruissement se fit entendre dans les fourrés et, une fois encore, Véronique renâcla. Je parvins aisément à la calmer. Autour de nous, la tension était retombée. Dudley avait abandonné son ton provocateur et discutait de fauconnerie avec un de ses compagnons. De la Roche remarqua :
— Vous montez à la perfection, dame Blanchard. Est-ce votre propre cheval ?
Lady Catherine répondit à ma place :
— Non, Ursula n’en a pas. Elle emprunte aux écuries royales.
— Vous n’en avez pas ? s’étonna de la Roche, abasourdi. Mais pourquoi donc ? Une aussi excellente cavalière se doit de posséder sa propre monture. Il vous faut acquérir un cheval sans tarder. Arundel, ne pouvez-vous recommander un marchand à dame Blanchard ?
Un moment plus tôt, je l’appréciais assez, mais à présent je bouillais de rage. J’étais lasse de ma pauvreté, de l’embarras d’avoir à la cacher, dans cette cour où être dans la gêne revenait à valoir moins que les autres.
Une femme de chambre, ma chère, est indispensable. Un jupon blanc ou argent, peut-être, avec des manches assorties. Il vous faut acquérir un cheval sans tarder. Et avec quel argent ?
Oubliant de tempérer mes propos, je répliquai :
— Je n’en ai pas les moyens.
— Comment ? Vous êtes pourtant une Faldene, issue d’une famille éminente. Et votre époux avait bien réussi. Je ne comprends pas… Dame Blanchard ! Pardonnez-moi, je vois que j’ai eu une parole malheureuse.
J’avais détourné la tête, mais il avait remarqué mes larmes – des larmes de rage. Je me retrouvais donc face à Lady Catherine, qui jubilait devant mon embarras. Je me redressai de toute ma taille et regardai de la Roche droit dans les yeux :
— Oui, je suis une Faldene ! Ma mère l’était aussi et n’a jamais changé de nom. Comprenez-vous ce que cela signifie ?
Une expression de mépris se peignit sur les traits de Lady Catherine, cependant j’étais trop en colère pour m’en soucier.
— J’ai grandi sur les terres familiales, tout juste tolérée. Une bâtarde ! Mon mari était un fils cadet. Il ne possédait aucune fortune et m’a épousée contre le gré de sa famille. Il est mort avant d’avoir pu nous assurer une véritable aisance. Mon seul trésor est ma petite fille adorée, qui dépend de moi pour sa subsistance. Comprenez-vous, maintenant ?
J’attendis, frémissante, une réponse pleine de dédain.
Il n’en fut rien. Au contraire, de la Roche demanda d’un ton grave :
— Et dans ces circonstances, aucune des deux familles n’a donc… Non, mille excuses, cela ne me regarde pas. Toutefois…
J’avais refoulé mes larmes au prix d’un effort de volonté.
— Ma famille m’a offert un toit, en
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