Dans l'ombre de la reine
venait d’arriver n’était autre que Matthew.
Je ne vis pas qui l’avait accueilli, mais une servante plus ou moins attachée au personnel de Forster apparut alors que Pinto et moi aidions Amy à ajuster son vertugadin. Elle lui remit une note. Amy la lut, puis me regarda.
— Il semble que vous ayez un visiteur, Mrs. Blanchard. Un certain Matthew de la Roche. Il souhaite vous voir, et Forster demande s’il peut être reçu. Y consentez-vous ?
— Je… Oui, bien sûr, Lady Dudley. Comme c’est gentil à lui d’être venu !
— Qui est-ce ? Un parent ? s’enquit Amy.
— Non. J’ai fait sa connaissance à la cour.
Pinto et Amy me contemplaient avec intérêt. Je me sentis rougir.
— Un soupirant ? demanda Amy d’une voix triste et rêveuse.
— En fait, oui. Mais je suis encore en deuil et, pour l’instant, ce n’est qu’une simple connaissance. Je ne déserterai pas mon poste, Lady Dudley. Je vous le promets.
J’étais navrée pour Amy. Elle n’avait que deux ou trois ans de plus que moi, mais déjà le temps de sa floraison était passé. Elle avait été courtisée par Dudley, l’avait épousé puis perdu, et pour elle il n’y aurait pas de renouveau. Moi aussi j’avais perdu un mari, mais j’étais en bonne santé et l’espoir demeurait. Si elle éprouvait de la rancœur, je ne pouvais l’en blâmer.
Pinto en ressentait ; je le lus dans son regard. Mais Amy me répondit :
— Si le Dr Bayly ne se trompe pas, je ne vous retiendrai pas très longtemps, Mrs. Blanchard. Pourvu que Robin patiente un peu, la nature le libérera, lui épargnant ainsi qu’à Forster une besogne désagréable.
— Lady Dudley, affirmai-je (n’étais-je pas payée pour le faire ?), je vous assure, je vous promets, que Sir Robin ne vous veut aucun mal et…
Amy m’interrompit en agitant doucement la main.
— Peut-être. Peut-être pas. Mais je suis sûre désormais de pouvoir me fier à vous, et je vous souhaite beaucoup de bonheur. Même si cela signifie que vous deviez me quitter.
Cela revenait à dire qu’elle s’était prise d’affection pour moi, et Pinto me foudroya des yeux.
— Je prierai Mr. de la Roche de se joindre à nous pour le dîner, poursuivit Amy sans se rendre compte de rien. Me permettez-vous une suggestion ?
— Oui, bien sûr, Lady Dudley.
Amy me dit en souriant :
— Quittez vos habits de deuil. Rien qu’un peu.
J’écoutai ce conseil. Après tout, troquer une robe noire contre une crème n’était pas grand-chose. Bien des jeunes veuves se seraient déjà remariées et, plutôt que de rester dans la gêne, neuf femmes sur dix auraient usé de tous leurs artifices pour entraîner Matthew jusqu’à l’autel, en dépit des prudentes exhortations de Kat Ashley et de Lady Katherine Knollys.
Gerald et moi nous étions unis par amour, au mépris des conventions. Je savais ce que cela représentait. Si je me remariais, je désirais que ce fût pour l’homme, et non pour la sécurité qu’il avait à m’offrir.
Je ne savais si cet homme serait Matthew. J’étais plus mûre que lorsque je m’étais enfuie avec Gerald. À l’époque, je ne mesurais pas le risque que je courais, mais je m’en rendais compte à présent. J’avais eu de la chance : Gerald s’était avéré tel que je le croyais. Tenter le sort une seconde fois n’allait pas sans péril. Si fort que Matthew me plût, certains aspects de sa personnalité me mettaient mal à l’aise. Kat Ashley et Lady Katherine n’avaient pas eu à les souligner, car j’en avais déjà conscience.
Néanmoins, il n’y avait rien de mal à demander à Dale de chercher, pour une fois, une toilette dépourvue de noir. L’idée m’avait effleurée, avant mon départ, que je souhaiterais peut-être alléger mon deuil, aussi avais-je dans mes bagages une robe en satin crème, aux manches ornées de dentelle or pâle. Elle me mettait en valeur sans ostentation et était même, à vrai dire, un peu passée de mode, comme la plupart de mes tenues. Au lieu d’une fraise, elle avait un décolleté en V terminé par un col rabattu, orné d’un peu de dentelle pour rappeler les manches.
Quand j’essayai la robe, je fus satisfaite de mon apparence, surtout après avoir lissé mes cheveux sombres que je ramenai dans une résille dorée parsemée de perles. J’accrochai à mon cou une chaîne en or et un pendentif en perle, mes derniers beaux bijoux, ayant vendu le reste. L’ensemble
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