Dans l'ombre de la reine
toujours en larmes, ne voulut rien avaler. Pendant que Dale et moi mangions du bout des lèvres notre potage, Forster et Mrs. Odingsell nous amenèrent un visiteur matinal.
— Messire Blount ! m’exclamai-je en me levant d’un bond.
C’était bien Thomas Blount, le cousin par alliance de Dudley, une épée au flanc complétant sa mise impeccable. Avec sa simplicité coutumière, il avait voyagé sans serviteur.
Il connaissait déjà la tragédie, l’ayant apprise du patron de l’auberge où il avait couché la nuit précédente, à Abingdon. Bowes, allant en sens inverse, s’y était arrêté pour boire une ale (« Je lui avais ordonné de se hâter, fulmina Forster. Il a perdu son temps ! Qu’il ne s’avise pas de porter cette ale sur mon compte ! ») et avait tout raconté au patron.
— Il était trop tard pour que je chevauche jusqu’à Cumnor, expliqua Blount pendant que nous l’emmenions voir Amy, en haut. Mais je suis parti dès l’aube. C’est donc vrai. Oh, pauvre, pauvre Lady Dudley ! J’apportais de l’argent, de la part de son mari. Je l’ai sur moi.
— Je m’en chargerai, Mr. Blount, déclara Forster comme on pouvait le prévoir.
Que je haïssais Dudley, à cet instant ! Il avait ourdi la mort de son épouse, se servant de moi pour se protéger, et, avec cynisme, il envoyait de l’argent à Amy au moment même où ses hommes de main l’assassinaient. À mes yeux, sa culpabilité ne faisait aucun doute et je priai pour qu’Élisabeth ne fût pas complice. Quoi qu’il en fût, les intérêts de la reine se confondaient avec ceux du royaume et, pour cette raison, je ne devais rien dire de ce que je savais, ou supposais. Cela m’étouffait.
Nous relatâmes à Mr. Blount comment, au retour d’Abingdon, nous avions trouvé Amy au bas de l’escalier. Pinto avait décidé qu’il s’agissait d’un accident. Elle ne voulait pas entendre parler d’un geste délibéré :
— Ma maîtresse était une véritable dame et n’aurait jamais commis un tel péché ! s’indigna-t-elle.
Dans son esprit, si Dudley avait un agent dans la maison, c’était moi. Je me trouvais à Abingdon lorsque Amy était morte, par conséquent j’étais innocente et, pensait-elle, Dudley aussi. J’aurais dû en éprouver du soulagement.
Nous recouvrîmes le visage de la défunte avant de nous retirer dans le salon, la laissant seule.
— Mrs. Blanchard, me dit Forster, voulez-vous demander qu’on nous monte des rafraîchissements ?
— Mrs. Blanchard ! s’écria Blount. Quelle négligence de ma part ! Même dans ces circonstances, je n’aurais pas dû oublier le triste message que j’avais à transmettre.
— Un triste message ? Pour… Pour moi ? m’alarmai-je. Pas au sujet de ma fille ?
— Votre fille ? Non, Mrs. Blanchard. Dudley m’a en effet indiqué que vous aviez une fille. Je gage qu’elle se porte à merveille. Cela concerne votre valet, John Wilton.
— John ! Je l’avais chargé d’une course. Que voulez-vous dire ? Quel triste message ?
Blount me considéra d’un air grave qui m’effraya.
— Après avoir quitté Windsor, hier, j’ai fait halte pour déjeuner au Coq en pâte, entre Wallingford et Maidenhead.
— Je me souviens de cette auberge.
— Votre valet, John Wilton, y avait été transporté quelques jours plus tôt. Il semble, soupira Blount, que la nouvelle d’événements violents m’ait accueilli à chaque halte de ce voyage ! Mr. Wilton a été attaqué par des brigands et il est grièvement blessé. Le patron, Dexter – un brave homme –, a veillé à ce qu’on le soigne. Juste avant mon arrivée, le malade avait réussi à dire qui il était et qu’il venait de Cumnor. Dexter m’a reconnu et s’est souvenu que Mr. Wilton et moi voyagions dans le même groupe quand nous avons cherché refuge chez lui, pendant l’orage. Il s’en est donc ouvert à moi. J’ai promis de vous en aviser.
J’étais trop émue pour parler. Mr. Blount m’observait avec sollicitude.
— On procédera à une enquête pour la pauvre Lady Dudley et vous devrez rester ici afin d’être interrogée, mais j’ai vu Wilton, et ses blessures sont sérieuses. Il y a en outre une note à régler à l’auberge, pour les soins qu’on lui a prodigués et pour la place occupée à l’écurie par son cheval, qu’ils ont retrouvé errant. Je crois que vous devriez vous rendre au Coq en pâte sans perdre un instant.
CHAPITRE X
Le
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