Dans l'ombre de la reine
échapperais peut-être. Les chemins étaient rudes, et, par deux fois, je dus suivre la mauvaise direction avant de trouver un pont pour franchir un fossé. J’étais en sueur, contrariée, et encombrée par mon panier. Je finis par le jeter sous un talus. Mon mal de tête, en revanche, avait disparu sitôt que j’avais faussé compagnie aux autres. Je regagnai la route principale, à l’affût du moindre bruit.
Je pouvais arriver avant deux heures et demie. Si seulement je trouvais Amy encore en vie ! Elle pensait inviter Mrs. Owen à déjeuner ; une chance subsistait.
Tout à mes réflexions, je n’entendis pas l’approche des cavaliers. Ils déboulèrent sur ma gauche et me prirent par surprise, bondissant presque au-dessus de moi. L’épaule du premier cheval me projeta sur le côté ; je perdis l’équilibre et faillis tomber dans le fossé. Les cavaliers poursuivirent leur route dans un bruit de tonnerre, comme si je n’existais pas. Je restai assise par terre, frottant ma cheville douloureuse en les regardant s’éloigner. J’avais tout juste entrevu l’alezan superbe qui m’avait renversée et l’homme sur son dos. Ce profil d’oiseau de proie me rappelait…
Sir Richard Verney ! Les cavaliers étaient-ils donc Verney et Holme ? Ils fonçaient ventre à terre vers Cumnor. Ils y arriveraient bien avant moi.
Ma cheville me faisait souffrir. Je me levai, et me rassis aussitôt pour la masser de nouveau. J’étais ainsi occupée quand j’entendis les voix familières que je guettais plus tôt. Au détour de la route apparurent Pinto, Dale, Bowes et Brockley, tout en sueur dans leurs habits du dimanche. Ils se précipitèrent sur moi en s’exclamant.
— Ainsi, vous voilà ! Quelle allure vous nous avez imposée ! dit Bowes qui, ayant ôté son bonnet, avait reçu un coup de soleil sur son crâne presque chauve ; il ajouta sur un ton de reproche : Mrs. Blanchard, vous n’auriez pas dû.
— Oh, madame, à quoi pensiez-vous ? Cette Pinto ne cesse de répéter des horreurs. Je ne peux souffrir de l’entendre ! Mais s’en aller toute seule de la sorte…
— Oh, vous, mauvaise créature ! Je savais que vous nous échapperiez à la première occasion. Ne vous l’avais-je pas dit, Mr. Bowes ? Nous vous avons perdue à la foire, mais nous nous doutions bien de la direction que vous prendriez ! Nous vous avons vue de loin, dans les champs. « C’est elle, ai-je dit. Rattrapons-la avant qu’elle parvienne à Cumnor et mette sa vilenie à exécution. »
— Voilà de quelles calomnies elle me rebat les oreilles ! Si c’est pas une honte d’entendre des choses pareilles, madame !
— Vous vous êtes fait mal, remarqua Brockley.
Lui, au moins, semblait me considérer avec un peu d’humanité. Je lui lançai un regard de gratitude.
— Je me suis tordu la cheville.
De nouveau, je me remis debout et, à mon vif soulagement, constatai que j’allais mieux.
— Ce n’est rien de grave. Mais je vous dénie le droit de m’insulter, Pinto. Soit, je veux retourner à Cumnor pour être auprès de Lady Dudley. Je sais, elle m’a ordonné de venir à Abingdon, mais j’ai d’autres ordres, qui consistent à veiller sur elle. Voilà pour quoi je suis payée et nul parmi vous n’a le droit de m’en empêcher !
— Payée par son mari ! Niez-le si vous le pouvez, petite sournoise ! s’écria Pinto.
— Allons, allons ! Il est vrai qu’une dame de qualité comme Mrs. Blanchard ne devrait pas courir les routes toute seule, mais ce n’est pas une raison pour oublier vos bonnes manières, répliqua Brockley avec sévérité.
— Je suis payée par Sir Robin Dudley, convins-je, mais ses ordres étaient de réconforter et de protéger son épouse, que Pinto le croie ou non. Et maintenant…
Je m’arrêtai net. J’aurais voulu partager l’inquiétude qui me pesait tel un fardeau, mais John n’était pas de retour et j’attendais toujours la réponse de Cecil. Je craignais de me fier à quiconque, hormis mon serviteur et le secrétaire d’État.
Je n’osais m’épancher auprès de ceux qui m’entouraient sur cette route. Je les croyais honnêtes, y compris Bowes – même s’il travaillait pour Anthony Forster –, mais aucun d’eux n’était doué d’une intelligence assez pénétrante. La voix d’Amy résonnait dans ma tête, me rappelant les limites des gens qui bavardaient dans les tavernes et autour des puits. Et j’entendais la reine
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