Dans l'ombre de la reine
Coq en pâte
J’y étais le jour même. Sans la moindre objection, Forster me trouva une monture et me donna Roger Brockley pour escorte. L’unique difficulté vint de celui-ci. Depuis mon arrivée à Cumnor Place, je n’étais plus montée en selle et découvrais donc en lui un homme aux idées gentiment surannées, qui ne croyait pas, selon ses termes, qu’une dame dût charger comme une furie à travers la campagne. Si besoin était, elle se déplaçait en chaise à porteurs, en carrosse ou en croupe, derrière son protecteur. Il voulait que je monte derrière lui ou, si je tenais coûte que coûte à avoir mon propre cheval, que je prenne le hongre apathique de Dale qui était resté à Cumnor avec Étoile.
— Je suis pressée, lui rappelai-je d’un ton sec. Je ne vais pas avancer au pas, assise derrière vous, ni monter cet escargot à quatre pattes. Il a presque fallu le haler pour qu’il vienne jusqu’ici. N’oubliez pas, Brockley, que Sa Majesté la reine est une remarquable cavalière. Je compte bien suivre son exemple.
— Nul au monde n’est plus patriote que moi, cependant… commença-t-il.
Il ne pouvait avoir plus de quarante ans, mais sa voix profonde et grave, s’ajoutant à ses tempes parsemées de fils d’argent, lui prêtait quelquefois la solennité d’un sénateur romain courbé sous les ans. Son front incliné se plissait dans l’effort sincère qu’il mettait à me convaincre.
— Écoutez, Brockley ! Un serviteur malade attend mon aide, et si vous-même étiez couché dans une auberge, sur un lit de souffrance, vous aimeriez peut-être que votre maître se hâte de vous rejoindre !
Cela lui imposa silence et nous partîmes enfin, avec tout juste quelques effets pour le lendemain. En dépit de mon inquiétude, je pris un malin plaisir à démontrer qu’une dame pouvait galoper à fond de train sur une selle de femme. Nous atteignîmes Le Coq en pâte en trois heures.
Laissant Brockley s’occuper des chevaux, j’entrai aussitôt dans la salle pour trouver le tenancier. Dexter me conduisit dans le cellier que nous avions occupé le jour de l’orage.
— Je suis content que vous soyez venue, dame Blanchard. Je vous aurais fait chercher plus tôt, mais avant que messire Wilton ne revienne suffisamment à lui pour parler un peu, nous ne savions qui envoyer quérir, ni où. Alors, par bonheur, messire Blount est arrivé. C’est une mauvaise affaire, madame.
— Je veux le voir. Mais auparavant, racontez-moi ce qui s’est passé.
— Ma foi, c’était il y a une semaine, oui, lundi dernier. Il est entré avec un groupe de gentilshommes et ils sont restés pour la nuit. Il les avait rencontrés sur la route et voyageait avec eux, trouvant ainsi compagnie et protection. Les bandits de grand chemin sont toujours à craindre.
J’acquiesçai. Thomas Blount, transportant de l’argent pour Amy, avait compté sur son épée, mais la plupart des voyageurs cheminaient de conserve s’ils le pouvaient.
— Ils sont partis au matin, tous ensemble. Un peu plus tard, j’ai été dans la forêt avec la carriole pour ramasser du petit bois, et j’ai pris mon chien, Watcher, avec moi. C’est lui qui a trouvé messire Wilton. On l’avait abandonné sous un buisson, à une demi-lieue d’ici. Mon chien courait çà et là. Soudain, il s’est mis à aboyer et à hurler si fort que je suis allé voir. Il y avait de quoi être horrifié, croyez-moi ! Enfin, j’ai hissé messire Wilton dans la carriole pour le ramener, et on l’a soigné de notre mieux jusqu’à ce qu’il puisse nous parler. Il ne faisait guère que marmonner, et je ne crois pas qu’il ait jamais repris tout à fait connaissance, mais pour finir nous avons reconnu le nom de Cumnor, puis le vôtre, et alors je me suis rappelé que votre groupe avait couché ici, y compris messire Wilton et messire Blount. Par un hasard providentiel, messire Blount est arrivé sur ces entrefaites et s’est chargé de vous prévenir.
— S’il avait des compagnons de voyage, comment a-t-il pu être attaqué ainsi ? Qui étaient ces gentilshommes dont il avait fait la connaissance ?
— Oh, ils n’ont rien à voir là-dedans. C’étaient des messieurs très honorables ! Non, non. Je me suis posé cette question, dame Blanchard, mais alors que je ramenais messire Wilton, nous sommes passés devant un paysan qui curait un fossé, et que je me rappelai avoir vu à l’aller. Aussi, je lui ai demandé s’il
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