Dans l'ombre de la reine

séparation. Là-bas, je me sentais plus à l’aise qu’à Faldene, avec son parquet ciré, son orgueil familial et son cœur froid.
    Quel déchirement ce fut de leur apprendre la disparition de John ! Je tus mes soupçons et la poursuite que nous avions menée. Je me bornai à dire qu’il avait été attaqué par des brigands, et que j’avais tardé à venir à cause de l’enquête à Cumnor et des obsèques.
    Ils avaient eu vent de la mort de Lady Dudley ; dans toute l’Angleterre résonnait la nouvelle que le « doux Robin » était devenu veuf grâce à un accident fort opportun. Ils acceptèrent mes dires sans le moindre doute.
    C’était fini. Alice avait pleuré et je l’avais réconfortée de mon mieux, Tom avait lancé des imprécations contre les assassins de son beau-frère. Nous étions restés jusqu’au repas du lendemain midi, les laissant revenir sur la mort de John et poser toutes les questions qu’ils souhaitaient. Maintenant, enfin – enfin ! –, j’étais libre de chevaucher vers Westwater, le hameau où j’avais installé Bridget et Meg dans leur chaumière.
    Une fois là-bas, peut-être demanderais-je au prêtre s’il avait entendu parler d’un de la Roche établi dans le Sussex. J’avais posé la question aux Juniper, qui n’en avaient pas ouï dire.
    — Nous menons une vie très retirée. Nous apprenons quelques nouvelles sur les marchés – comme la disparition de Lady Dudley –, cependant nous ignorons beaucoup de choses, ou alors cela nous parvient plus tard. Ils le sauront à coup sûr, à Faldene, mais si vous ne voulez pas y aller…
    — Pas question ! répliquai-je.
    — En ce cas, essayez à l’église de Westwater. Les prêtres se connaissent tous et parlent entre eux de leurs nouveaux paroissiens.
    Par ce début d’automne, la journée était belle et fraîche. Sur les collines, au-dessus du chemin crayeux, les herbes et les fougères se paraient de roux. La chaumière était la première à l’entrée du hameau, un peu détachée du reste. Elle était de construction récente et son chaume conservait un éclat doré. Ce n’était pas le genre de demeure où Meg aurait dû grandir, néanmoins je ne pouvais lui offrir mieux pour l’instant. Au moins, elle trouvait en Bridget la sécurité et l’affection, et cela ne faisait pas de mal d’apprendre à cuisiner et à jardiner. Je pourvoirais plus tard aux lacunes de son instruction. Pour l’instant, je n’aspirais qu’à la voir courir à ma rencontre et à la faire tournoyer dans mes bras.
    En approchant, je vis que le jardin était planté d’aromates et de légumes, et j’aperçus un poulailler à l’arrière. Bridget avait suivi mes instructions. Au portail, j’appelai, mais n’obtins pas de réponse.
    — Elles rendent visite à des voisins ? suggéra Brockley. Ou y a-t-il un marché à proximité ?
    — Au village de Faldene, chaque semaine. Mais il se tient le mercredi, or nous sommes vendredi.
    Alors la porte s’ouvrit et Bridget sortit en courant, bien qu’elle fût dodue et plus dans sa prime jeunesse. Remontant ses jupes, elle fonça vers nous et arriva, le souffle court.
    — Oh, dame Blanchard ! Vous voici ! Vous avez donc reçu ma lettre, oh, mon Dieu, oh, mon Dieu ! J’ai cru devenir folle…
    — Qu’y a-t-il ? Que s’est-il passé, Bridget ?
    Je sautai au bas de ma selle, enroulant les rênes autour de mon bras. Le visage rond de Bridget n’était pas expressif, en temps normal, mais à cet instant son anxiété s’y lisait tout entière. Mes narines m’informèrent, à mon grand regret, qu’elle était retombée dans ses anciennes habitudes concernant l’hygiène, puis je remarquai les mèches grasses s’échappant de son bonnet de lin et sa jupe d’une propreté douteuse. Mais pour l’heure, cela importait peu.
    — Bridget, insistai-je, la voyant sur le point de fondre en larmes au lieu de me répondre. Qu’y a-t-il, enfin ? Quelle lettre ? Où est Meg ?
    Je la cherchai des yeux, mais rien ne bougeait à l’intérieur de la chaumière, aucune petite fille n’arrivait en courant du jardin.
    Bridget eut un mouvement de recul.
    — Ainsi, vous n’avez rien reçu ? Pourtant vous êtes ici, madame, vous êtes venue…
    — Je suis restée longtemps sur les routes. Où avez-vous adressé votre message ?
    — À Cumnor, il y a environ une semaine. J’ai payé un gamin du village afin qu’il vous l’apporte. Oh, dame