Dans l'ombre de la reine
pour la cour.
— Ah, oui ! Il est habité, à présent. Par ce messire Johnson ?
— Oui, répondit le palefrenier, vexé d’être interrogé de la sorte. Par lui et par un groupe assez nombreux. Ils viennent ici de temps en temps. Messire Johnson et quelques-uns de ses compagnons sont arrivés il y a une dizaine de jours. On aurait dit qu’ils revenaient de voyage. Son cheval boitait. Ils ont dîné là et l’ont laissé pour qu’on le soigne. Il a emprunté une vieille rosse afin de rentrer chez lui… madame, ajouta-t-il, dubitatif, comme se demandant si je méritais ce titre respectueux.
— Ursula ! lança Tante Tabitha derrière moi. Qu’est-ce qui nous vaut ce plaisir inattendu ?
Elle était apparue soudain, d’une porte de derrière. Hébétée, je fis faire volte-face à mon cheval. La poursuite des meurtriers et le désir de retrouver ma fille étaient encore, quelques instants plus tôt, deux affaires distinctes. Elles venaient d’entrer en collision, et je voyais des étoiles, comme si je m’étais cogné la tête contre un mur.
Cependant, je me concentrai à nouveau sur Meg. J’avais perdu l’avantage de la surprise et tout espoir, désormais, de reprendre mon enfant en cachette. J’optai donc pour l’affrontement direct.
— Bonjour, Tante Tabitha. Je viens chercher ma fille. Voulez-vous la faire venir, je vous prie ?
Pour courageuse que fût ma tentative, elle était vouée à l’échec. Ma tante ne se laisserait pas impressionner par le moindre simulacre d’autorité de ma part. Elle était toujours mince et active, avec un pli réprobateur aux lèvres comme si elle venait de manger une pomme acide. Excepté lorsqu’elle s’emportait, elle respectait les bonnes manières.
— Ainsi, vous avez découvert qu’elle est ici. Eh bien, Ursula, il s’agit d’une affaire familiale sérieuse. Vous ne vous attendez tout de même pas à en discuter en quelques minutes, et encore moins dans cette cour ? Comment se fait-il qu’on ne vous ait pas annoncée ? Fenn s’est montré peu avisé.
— Harry Fenn n’avait pas le choix, Tante Tabitha. J’étais prête à lui passer sur le corps. Je le répète : je viens chercher ma fille. Comment avez-vous su où elle vivait ?
— Je vous ai vue avec elle une fois, rappelez-vous. Vous étiez venue sur la tombe d’Anna, sans même rendre visite à ceux qui vous ont entretenue avec pour seule récompense l’ingratitude, et qui néanmoins offraient de vous recueillir à la mort de votre époux.
Répondre nécessitait du temps et n’eût pas arrangé nos relations. Mieux valait faire la sourde oreille. Lentement, je mis pied à terre et fis signe à Dale de descendre aussi. Brockley se chargea de nos montures. Il dirigeait contre Tante Tabitha une colère muette que je trouvais réconfortante, mais dont elle n’avait bien entendu pas conscience.
— Voulez-vous dire que, passant par hasard à Westwater, vous avez vu Meg et l’avez reconnue après cette brève rencontre ?
— Non. Vous avez écrit à cette sotte à laquelle vous l’aviez confiée, et elle est allée chez le prêtre de la paroisse pour qu’il l’aide à lire la lettre. Quelques semaines plus tard, il dînait avec ce cher Dr Bryant, qui est toujours notre prêtre à Faldene, et y a fait allusion. Le Dr Bryant a compris aussitôt que cela vous concernait, vous et votre enfant. Un certain temps s’est écoulé, car il a réfléchi avant de venir nous trouver, et nous, à notre tour, avons longuement mûri notre décision. Nous sommes allés à la chaumière pour nous rendre compte par nous-mêmes. Quelle ne fut pas notre émotion de voir l’enfant en un lieu pareil ! Je vous avoue, Ursula, que nous avons hésité. Après tout, vous nous avez reniés ; quelle raison aurions-nous de ne pas en faire autant ?
— Aucune.
Ma tante feignit de ne pas entendre.
— Pour finir, la sagesse a prévalu. Il y a deux semaines, nous avons décidé de vous pardonner et d’agir au mieux pour votre fille. Alors, nous l’avons amenée ici. Vous devriez me remercier.
Je suffoquai devant tant d’effronterie et, en silence, pestai injustement contre Bridget, trop simple et trop honnête pour songer aux conséquences des conflits familiaux et aux ramifications internes du clergé. Les Juniper avaient raison : les prêtres se connaissaient tous.
Je me maudissais d’avoir laissé Meg à Westwater. Effondrée après la mort de Gerald, j’avais couru me
Weitere Kostenlose Bücher