Dans l'ombre de la reine
couvert par la cire d’abeille que l’on venait de passer. Je ne l’avais pas reconnue, bien que je l’eusse souvent sentie à Faldene. La messe y avait été célébrée peu avant notre arrivée.
J’éprouvai alors une sensation très désagréable, comme si j’avais avalé de la neige qui refusait de fondre.
Que pouvait comploter un groupe de gentilshommes, chevauchant d’une maison catholique à l’autre dans l’Angleterre d’Élisabeth, pour une affaire si secrète qu’aucun de leurs hôtes ne voulait la mentionner, ni même admettre que les gentilshommes en question fussent passés par là ? Et quel genre d’affaire pouvait inciter ces voyageurs énigmatiques à assassiner un compagnon inoffensif ?
On ne pouvait que se perdre en conjectures. Ce n’était pas, par exemple, de simples prêtres itinérants célébrant la messe en privé pour leurs dévots.
Il y avait forcément autre chose là-dessous.
J’avais ressenti la peur à Cumnor, mais celle-ci était pire. Bien, bien pire.
Je commençai, confusément, à pressentir la nature de l’ennemi. Et le soulagement fut, je crois, le sentiment qui domina en moi quand, peu après, nous perdîmes la piste.
CHAPITRE XIV
Perdus et retrouvés
Jusqu’à Windsor, nous avions suivi la trace du groupe avec un certain succès. Nous franchîmes la Tamise à Henley, où nous interrogeâmes les patrons de canots et d’allèges. Un équipage avait pris des cavaliers environ deux semaines auparavant. En effet, l’un des chevaux était blanc et fauve. Ils n’étaient pas près de l’oublier, cette bête vicieuse qui avait flanqué une ruade à l’un d’entre eux ! Le marin remonta jusqu’au genou la jambe de ses culottes dépenaillées pour montrer les vestiges d’une énorme ecchymose.
Dans la ville suivante, Maidenhead, un aubergiste pensait qu’ils s’étaient arrêtés chez lui pour manger. Mais après Windsor, la piste tourna court. Les meurtriers avaient pu emprunter la route de Southampton, celle de Douvres ou encore un chemin menant vers le Sussex, auquel cas il nous fallait trouver lequel. Pendant deux jours entiers, nous continuâmes à nous informer sur une lieue à la ronde, en vain. Nous regagnâmes Windsor, où nous tînmes conciliabule dans notre auberge.
La cour se trouvait encore dans cette ville, cependant je préférais ne pas m’y rendre de crainte que l’on ne me retienne. La reine était parfois capricieuse. Maintenant que la piste était perdue, le Sussex m’appelait d’une voix insistante. Je devais voir Meg et la sœur de John Wilton. Puis, si je parvenais à trouver Matthew, je pourrais – mais ce n’était qu’une vague possibilité ! – lui demander conseil. Il me faudrait être prudente : il était catholique, lui aussi. Pour peu que mes suppositions fussent fondées, j’avais découvert l’existence d’une terrifiante conspiration. Matthew le comprendrait. Il était grand temps que je me rende dans le Sussex, et rien ne m’en empêcherait.
— Ne devriez-vous pas rapporter ce que vous avez appris à une personne influente, en premier lieu ?
J’avais commandé un repas pour trois, dans une pièce particulière. Les récents événements nous avaient rapprochés et nous avions pris l’habitude de manger ensemble. Brockley m’observait d’un air grave, de l’autre côté de la table.
— Je ne crois pas que nous en sachions assez. Sur certains points, je me livre à de pures conjectures.
— Vous ne nous avez pas tout dit, remarqua Brockley, mais même de simples suppositions méritent d’être exposées.
— Je me le demande.
— Nous avons découvert des éléments précis, madame, objecta Dale. Et le fait que ces deux maisons soient catholiques… Je suis sûre que cela signifie quelque chose.
« Moi aussi », pensai-je au fond de moi.
Une servante apporta une tourte chaude au mouton, ce qui interrompit la discussion. Pendant qu’elle plaçait les parts devant nous, j’observai Brockley. Il montrait beaucoup de bon sens et, bien qu’encore jeune, il alliait une certaine maturité à une expérience considérable de la vie. Il n’avait pas reçu une éducation au sens classique du terme, de celles où l’on apprend le grec et le latin, mais il avait travaillé comme palefrenier et valet dans plus d’une grande maison ; parfois, il avait exécuté des instructions manuscrites. Je savais qu’il lisait fort bien et savait écrire, quoique lentement. Son avis méritait
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