Dans l'ombre de la reine
Dr Crichton est prêtre et célèbre la messe pour nous chaque dimanche. Voulez-vous la suivre avec nous demain ? Ce sera avant le petit déjeuner, dans la pièce qui jouxte le salon.
Cela allait trop loin. Je ne voulais pas accepter cette invitation, mais le résultat en vaudrait peut-être la peine. Je compris, non sans amusement, pourquoi ils gardaient leur précepteur calamiteux.
Dale, assise à l’autre bout de la table, me fixait d’un air horrifié. Je lui souris pour la rassurer.
— Ma femme de chambre n’y assistera pas, mais je viendrai. À quelle heure ?
— Je cherche à gagner leur confiance, voilà tout, expliquai-je à Dale dès que nous fûmes seules dans notre chambre. Ne vous inquiétez pas et n’en soufflez mot à personne.
Néanmoins, cela ne lui plaisait pas. Le lendemain matin, elle m’habilla en observant un silence éloquent. Je lui tapotai l’épaule avec compréhension, puis je descendis.
La messe consista en une cérémonie très simple, dans une petite pièce aux murs nus. L’autel était une table ordinaire couverte d’une nappe blanche. On y avait déposé des cierges dans des chandeliers et un modeste crucifix. Le Dr Crichton récita le service de mémoire, sans livre de prières. La famille au complet et la plupart des domestiques étaient là, et les enfants, pour une fois, se tinrent bien, si ce n’est que le bébé pleura.
On ressentait beaucoup de douceur et de dévotion, et tout cela semblait inoffensif, à mille lieues de l’horreur qui s’était déroulée à Chichester et qu’Oncle Herbert m’avait décrite. Il était absurde que les Mason dussent s’acquitter d’une amende rien que pour ne pas fréquenter l’église paroissiale officielle, et plus encore de penser que si je les dénonçais, ils devraient payer cent marks pour avoir écouté une messe et quatre cents autres pour toute offense supplémentaire. Pourquoi ne pouvait-on pratiquer la religion comme on l’entendait et laisser les autres agir de même ?
Pourquoi la reine Marie n’avait-elle pas laissé ses sujets tranquilles ? Alors, la loi présente eût été plus souple envers ceux qui tenaient à conserver les rituels de leurs ancêtres.
Inoffensif… Cependant, je me sentais mal à l’aise et j’espérais retirer un avantage de cette épreuve. Sur ce point, je fus déçue. Au petit déjeuner, en me servant du bœuf froid et de la tourte au faisan, je remarquai que l’ami de mon mari, William Johnson, avait un faible pour la venaison. Mason se borna à répondre : « Vraiment ? Quant à moi, je préfère le faisan. » Et ce fut tout.
Nous prîmes congé. Au village de Lockhill, nous assistâmes au service anglican, puis nous repartîmes sur la route. Je demandai à Brockley si les palefreniers du manoir étaient aussi bavards que ceux de Springwood.
— Non, répondit-il d’un ton amer. Si nos amis sont passés par ici, c’est à croire qu’ils s’étaient rendus invisibles.
— Le maréchal-ferrant était pourtant formel. Je me demande même… Quand John essayait de nous parler, à l’auberge, il m’a semblé qu’il prononçait son propre nom. Supposez qu’il ait dit « Johnson » ? Je crois que nous sommes sur la bonne piste, mais où sont-ils passés ?
— C’est drôle, madame, intervint Dale. Nous savons à coup sûr qu’ils sont allés à Springwood, et cette demeure était catholique, comme Lockhill.
Brockley se tourna vers elle avec surprise.
— Oui, Lockhill est catholique, confirmai-je. J’y ai entendu la messe ce matin.
— Vous avez… quoi ?
Je le toisai avec froideur, et il se reprit, ajoutant un tardif : « Madame…»
— J’ai tenté de gagner leur confiance, en pure perte. Je compte sur votre discrétion, Brockley.
— Elle vous est acquise et je comprends votre intention, mais je dois dire que je n’approuve pas…
— Ah, ça non ! coupa Dale. Une messe papiste ! Je ne sais comment vous avez pu le souffrir, madame. Mais ce que je trouve étrange, c’est que cette maison et Springwood soient toutes deux catholiques.
— Qu’est-ce qui vous donne à croire que Springwood est catholique ? lui demandai-je.
— J’y ai senti une odeur d’encens. Pas à Lockhill – ils n’en ont pas utilisé, n’est-ce pas ? –, mais elle était assez forte, à Springwood.
Bien sûr. C’était la fragrance exotique que j’avais décelée dans le manoir des Westley. Non pas une herbe rare, mais de l’encens,
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