Dans l'ombre de la reine
chaumière, mais chez Tom et Alice. Demain, nous serions libérées de Faldene.
Je jouai quelque temps avec elle, savourant sa présence, puis je la mis au lit avant de retourner auprès de ma tante. Me forçant à sourire, je prétendis qu’à la réflexion, puisque je devais dès le lendemain entreprendre mon voyage pour regagner la cour, je jugeais préférable de laisser Meg à Faldene pour l’instant. Je demandai à passer la nuit au manoir, car il était tard et il n’y avait pas d’auberge au village.
— Bien sûr, répondit-elle, glaciale mais toujours respectueuse des convenances.
J’avais l’impression de trahir Meg, cependant les meurtriers de John ne devaient pas rester impunis, et l’enjeu était peut-être plus grave encore. Je me sentais redevenue l’implacable chasseresse.
Oncle Herbert, qui était resté dans son bureau à vérifier ses comptes, apparut au souper. À la différence de ma tante, il avait changé ces derniers temps, prenant de l’embonpoint et un double menton. Ses hauts-de-chausses vénitiens à la mode et son pourpoint matelassé le faisaient paraître encore plus gros. Il boitillait – « La goutte, ma fille » – et ne se réjouit pas de me voir.
— Ainsi, c’est toi ! Si tu t’imagines que tu vas emmener la petite, tu te trompes. Nous l’avons prise en main, à présent.
Il se radoucit (à peine) quand Tante Tabitha lui assura que j’acceptais le nouvel arrangement.
— On ne me fera pas dire que tu es la bienvenue, après la façon dont tu t’es conduite, mais nous traitons les membres de la famille avec civilité, quelles que soient leurs turpitudes, et nous nous chargeons des enfants qu’ils délaissent.
Je répondis que j’étais assurée de leurs bonnes intentions. Forcer mes lèvres à prononcer ces mots me fut pénible, mais quitte à dissimuler, autant le faire bien. Nous prîmes place pour le repas, et mon oncle et ma tante dirigèrent la conversation, me donnant des nouvelles de la famille. Le fils aîné, à Londres, gérait les affaires pour l’oncle Herbert qui ne pouvait plus voyager à cause de sa goutte, et le second avait une place chez l’ambassadeur, en France. Cousine Mary était enfin mariée, quoique les revenus de son époux fussent assez modestes.
— Les Blanchard sont apparentés à d’excellentes familles et nous auraient valu de nombreux avantages. Nous regrettons beaucoup que cette alliance n’ait pas eu lieu, déclara ma tante.
C’était de la provocation et je cédai un peu à mon désir de vengeance.
— Mais cette alliance aurait eu lieu, si seulement vous m’aviez accordé une dot pour adoucir la famille de Gerald.
Ils ne répondirent pas : « Toi ? Impensable ! » mais leur expression fut assez éloquente avant qu’ils ne reportent leur attention sur leur assiette.
— Toutefois, reprit Tante Tabitha après ce silence, Mary a fondé un foyer. Sa sœur Honoria vient d’avoir une autre fille et…
Quand ils eurent fini de parler de mes cousins, Oncle Herbert s’intéressa à ma vie à la cour et demanda comment était la reine. Je répondis avec autant de politesse que de circonspection.
J’allai me coucher de bonne heure.
On ne m’avait pas donné la meilleure chambre d’ami, ni même la moins belle. Tante Tabitha me fit entrer dans mon ancienne chambre au grenier, où se trouvait le lit tout simple, sans baldaquin, que j’avais partagé jadis avec ma mère et où j’étais maintenant invitée à dormir avec Dale. Si je n’avais déjà compris que je n’étais pas une visiteuse digne d’honneurs, cela m’eût ôté mon dernier doute.
Je hasardai une légère taquinerie :
— J’ai vu qu’on a ôté le lierre. Rassurez-vous, Tante Tabitha, cette nuit je n’essaierai pas de descendre par la fenêtre.
Ma tante ne goûtait jamais le sel d’une plaisanterie.
— Tu as toujours été un garçon manqué. J’ai tenté d’extirper ce défaut à coups de fouet, mais tu n’as pas changé. Tu ne m’inspires aucune confiance. Au fait, ne t’avise pas de voler Meg dans le noir. Nous lâchons nos chiens la nuit, et ils ne te connaissent pas.
— Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. Je ne quitterai pas la maison avant demain.
Je ne mentais pas. Je ne resterais pas dans ma chambre, mais, cette fois, j’exécuterais mon plan à l’intérieur.
Malgré ma lassitude, je devais demeurer éveillée. Comme je ne voulais pas mettre Dale dans la confidence, je prétendis que je
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