Dans l'ombre de la reine
n’avais pas sommeil et que je resterais assise près de la fenêtre, en laissant une chandelle allumée.
L’air frais caressa mon visage pendant que je me perdais dans mes souvenirs. Je contemplais les pentes de tuiles périlleuses le long desquelles je m’étais laissée glisser, cinq ans plus tôt, agrippée à une branche de lierre qui avait grimpé jusqu’au toit, avant de m’élancer vers celles du mur où j’avais parachevé mon évasion.
Gerald m’avait entraînée à travers les jardins, nous avions escaladé le tertre et le fossé bordant la propriété, vers le lieu où John nous attendait avec les chevaux. J’étais tombée dans le fossé, dans le noir, et Gerald était descendu d’un bond pour m’aider. Avec les étoiles pour seuls témoins, nous nous étions embrassés, serrés l’un contre l’autre…
C’était fini à présent, perdu à jamais, et Meg était tout ce qui m’en restait.
Je me secouai pour recouvrer ma lucidité, car la nuit était bien avancée. Dale dormait comme une souche, et il était temps de m’atteler à la tâche.
Je chaussai des pantoufles, allumai une nouvelle chandelle avant de moucher l’ancienne, puis, à pas feutrés, je descendis dans la maison endormie. C’était tout aussi inquiétant que lorsque j’avais traversé Cumnor Place après avoir écouté derrière les tentures, mais je refrénai ma peur des ombres mouvantes tandis que la flamme de ma chandelle vacillait sous les courants d’air. Je connaissais mon chemin. Je savais aussi que le bureau de mon oncle serait fermé. J’espérais qu’il conservait toujours la clef au même endroit : accrochée à un clou, à l’intérieur d’un placard en haut de la première volée de marches.
Je découvris trois clous, chargés de clefs presque identiques. Je les pris toutes et descendis furtivement dans le hall, silencieux et désert. Les rayons d’une lune cireuse filtraient à travers les carreaux et jetaient une pâle lueur sur le parquet. J’espérai que personne, dans les deux autres ailes, ne souffrait d’une rage de dents ou d’insomnie, car des fenêtres on pouvait apercevoir ma lumière tremblotante tandis que je traversais le hall.
C’est par là qu’on accédait au bureau de mon oncle. Je me glissai jusqu’à la porte et, la chandelle dans une main, j’essayai les clefs. La deuxième fut la bonne. Un léger cliquetis lorsqu’elle entra, un déclic lorsqu’elle tourna, et je retrouvai l’odeur familière d’encre et de parchemin. Le halo de lumière révéla un décor que je connaissais bien : le vieux bureau éraflé, taché d’encre çà et là, le nécessaire d’écriture en argent, avec son encrier et son sablier, les plumes dans leur gobelet et un couteau à tailler dans sa gaine ouvragée, le fauteuil ciselé de mon oncle, les murs lambrissés où les étagères disparaissaient sous les registres à reliure de cuir, et enfin l’armoire cadenassée qui, je le savais, contenait le coffre.
Ce n’était pas l’argent qui m’intéressait, mais les comptes. Je fermai le rideau et me mis au travail.
Mon oncle avait revu son organisation et il me fallut quelques minutes pour trouver les registres courants, mais pour finir, à l’affût du moindre son et le cœur battant, je m’assis à sa table pour examiner ses livres. Si j’avais vu juste, alors ce que je voulais se trouverait là sous une forme ou une autre. Oncle Herbert, toujours très méticuleux, établissait un bilan complet à la fin de chaque année, montrant exactement les recettes et l’usage qu’on en avait fait. Ce serait sans doute dissimulé – Oncle Herbert y était obligé –, mais ce serait là.
Je le trouvai presque tout de suite. C’était une écriture portée dans l’un des livres courants, dans la section « Dépenses, juillet à décembre 1560 ». En date du 3 septembre, je lus : « Don aux bonnes œuvres, pour la propagation de la vraie foi – 200 marks. »
La vraie foi d’un homme était l’hérésie d’un autre. Oncle Herbert, contrairement à Tante Tabitha, aimait jouer sur les mots. Mais deux cents marks ! Plus de cent trente livres ! « Quelle générosité inhabituelle de votre part, Oncle Herbert ! murmurai-je. Vous n’avez jamais été enclin à consacrer grand-chose à la charité. »
Remontant rapidement en arrière dans le registre et ceux de l’année précédente, je constatai, comme toujours, quelques dons charitables. Un homme jouissant de sa
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