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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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sur son ventre, puis s’effondra. Le cœur du Toulousain s’arrêta de battre. Il resta une seconde immobile, avant de s’élancer. Comme les balles sifflaient de toutes parts, il prit l’orphelin dans les bras sans même s’assurer qu’il vivait encore. Il avait cru le voir bouger ou l’entendre gémir, enfin, dans la confusion, il ne savait plus… Il avança, aveuglé par la fumée de la fusillade, chargé du corps inerte de l’adolescent. Il parvint jusqu’au Carrousel et se réfugia derrière le mur d’une baraque de bois. Il vit alors que Pierre était touché au bas-ventre, mais qu’il respirait encore.
    La fusillade n’avait pas cessé. Sous les ordres du capitaine Durler, les Suisses effectuèrent une sortie. En un clin d’œil, ces soldats d’élite regagnèrent le terrain occupé par les assaillants. Antoine était isolé, désemparé. Il voyait qu’à ses côtés, Pierre souffrait atrocement et se vidait de son sang. Mais il ne pouvait rien faire pour l’aider. Derrière lui, les fédérés et les troupes du faubourg tentaient de briser l’élan des Suisses, tandis qu’en face, Durler poursuivait sa progression malgré les lourdes pertes qu’il subissait. Antoine vit que cet officier courageux venait d’épargner une vingtaine de Marseillais, surpris derrière une guérite, et qu’il leur indiquait même le moyen de s’enfuir. Pierre et lui ne seraient peut-être pas abattus sur-le-champ. De toute façon, il en aurait bientôt le cœur net, car les mercenaires arrivaient au niveau de son refuge. Le regard d’Antoine croisa un instant celui de l’officier. Le Toulousain était assis, fou d’impuissance, haletant, la gorge brûlante. Il était asphyxié par la fumée des fusillades qui, faute de vent, tardait à se dissiper.
    On entendit tout à coup un feu de salve. Durler, qui avait perdu la majeure partie de ses hommes, dut alors rebrousser chemin. Il fallait profiter de cette brève accalmie.
    — Tiens bon, mon fanfan , tiens bon, répéta Antoine.
    Mais les yeux de Pierre se voilaient. Il ne gémissait plus. Il était en train de partir. Antoine hurla en direction des insurgés pour obtenir de l’aide. Mais personne ne répondit. Alors, rassemblant ses dernières forces, il hissa à nouveau l’adolescent sur son dos, puis avança en brinquebalant jusqu’aux avant-postes de la rue du Carrousel.
     
    — Vite, un médecin dit-il aux hommes qui s’étaient attroupés autour de lui.
    Les combattants restèrent un moment figés, les yeux rivés sur l’enfant qui agonisait.
    — Regardez, citoyen, dit soudain un quidam, en écartant la foule, voilà un jeune héros de la Révolution, un brave sans-culotte qui n’a pas hésité à risquer sa vie pour la patrie.
    Antoine, qui venait de déposer Pierre sur le sol, se redressa comme une trombe et enserra la gorge de l’orateur dans l’une de ses mains puissantes. Le visage du Toulousain était violet de rage et l’on pouvait croire qu’il allait tuer cet homme.
    — Tu ne vois pas, jean-foutre, qu’il est en train de crever ? lui cria-t-il.
    La réaction foudroyante d’Antoine, le langage populaire qu’il utilisait produisirent sur cette foule amorphe l’effet d’un coup de fouet sur un âne.
    — J’ai là une petite carriole pour le transporter, se hâta de proposer un jeune homme qui avait l’allure d’un marchand de quatre saisons. Une habitante du quartier indiqua un endroit où se trouvaient des planches. On en prit rapidement une pour faire une civière de fortune et Antoine, assisté d’un gaillard, transporta immédiatement le blessé jusqu’à la rue de l’Échelle où se trouvait la carriole. Le visage de l’enfant avait la couleur du marbre et ses yeux étaient vitreux.
    — Allons, plus vite, plus vite, commanda Antoine ! Prends la rue Saint-Honoré à droite, vers la rue Mauconseil.
    Au même moment, il aperçut devant lui un groupe de Suisses qui tentaient de fuir les Tuileries et que la foule venait de rattraper. Ce fut un massacre d’une cruauté indescriptible. Les hommes eurent la tête fracassée à coup de hache, le corps éventré par des sabres, déchiqueté par les piques, désossé par des couteaux de cuisine. La cervelle de l’un d’eux gicla sur le pavé. Le jeune marchand de quatre saisons, qui conduisait la carriole, était tétanisé par la terreur, incapable de remuer ou de parler. Antoine bondit jusqu’à lui, lui arracha les rênes et le poussa violemment. Mais un des

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