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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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avait plus aucune raison de se battre. Les défections s’amplifiaient. Les troupes du château se repliaient à l’intérieur des appartements royaux, laissant uniquement dans les cours les canonniers hostiles au roi. Enhardis par cette retraite, les émeutiers commencèrent à asséner de grands coups de boutoirs contre la porte de la cour. Les bruits sourds résonnaient dans tout le quartier et se conjuguaient aux cris du peuple et aux encouragements des canonniers.
    C’est alors qu’Antoine reconnut Pierre. Avec son bonnet rouge, sa carmagnole, son fusil serré sur la poitrine, l’adolescent avait l’air crâne et viril. Il portait le front haut, avec la fierté de l’ancien va-nu-pied qui surmonte l’humiliation de son enfance. Mais où étaient donc Baptiste et Jeanne ? Où se trouvaient ce plaisant coquecigrue de Chartier et ce vieux clampin de Jacques ? Ceux-là étaient sans doute trop sensibles, trop démolis et trop gueux pour croire que la Révolution pût encore changer leur vie.
    L’effervescence était telle qu’Antoine n’eut pas le temps de spéculer sur la présence de ses anciens modèles. Il salua Pierre qui lui répondit d’un bref hochement de tête.
    À force d’être pressés par la foule, les concierges ouvrirent finalement les portes. Le peuple s’engouffra dans la cour comme un fleuve après la rupture d’une digue. Les insurgés sautèrent dans les bras des canonniers, acclamèrent les gendarmes qui étaient ressortis du vestibule en hissant leur chapeau à la pointe des baïonnettes. Sans les canons que l’on venait de retourner contre le château, on eût dit une fête populaire. Une masse imposante se pressait désormais contre les appartements royaux. Certains apostrophaient les Suisses, leur adressaient des gestes d’amitié auxquels ces derniers répondaient en lançant quelques paquets de cartouche par les fenêtres.
    Antoine et Pierre entrèrent dans le vestibule derrière Westermann, un ancien hussard d’Esterhazy, et Garnier, qui commandait en second les fédérés marseillais. Les sentinelles laissèrent monter les chefs jusqu’à la chapelle, mais l’atmosphère demeurait explosive. Westermann, qui était alsacien, s’adressa aux Suisses en allemand. Il leur demanda de rompre les rangs. Antoine priait pour qu’il y parvînt. Près de lui, Pierre restait impassible, tel un vieux soldat concentré sur son devoir. On le voyait pourtant à de petits riens, tout cela n’était qu’une façade ; l’adolescent luttait pour se donner de la contenance ; il avalait sa salive avec peine et des lueurs d’inquiétude zébraient ses pupilles. Cette expression de fragilité fit oublier au Toulousain toute l’arrogance et l’ingratitude de son protégé.
    En repartant, les Marseillais réussirent à débaucher quelques soldats. Mais, pénétrés de leur devoir, les officiers suisses refusèrent de se rendre. Ils firent même barrer l’escalier pour éviter de nouvelles séductions. La foule, qui se pressait dans le vestibule, se faisait de plus en plus menaçante. Des mariniers tentaient de crocheter les sentinelles par leur fourniment afin de les désarmer. D’instinct, Antoine évita de suivre les premiers rangs d’émeutiers qui s’agglutinaient contre les barrières. Pierre l’avait-il compris ? Ressentait-il la même sensation, lui qui possédait le flair de la rue ? L’adolescent laissa à son tour les plus téméraires passer devant lui.
    La tension était parvenue à son comble. La foule hurlait, couvrait la voix des officiers, les Suisses transpiraient à grosses gouttes, sanglés dans leur uniforme écarlate. On eût dit qu’une main s’amusait à promener une flamme au-dessus d’un baril de poudre.
    Soudain, un coup de feu éclata. Les Suisses, qui se tenaient au bas de l’escalier, abaissèrent aussitôt leurs armes et fusillèrent le peuple. Ce fut la débandade. Antoine, comme Pierre, ne pensait plus qu’à fuir, à se frayer un passage à travers l’effroyable bousculade, piétinant les morts et les blessés dont ils n’entendaient même pas les gémissements. Tous les espoirs insensés d’Antoine s’étaient effondrés en un instant.
    Dès qu’ils entendirent les coups de feu tirés depuis le péristyle, les Suisses, postés dans les appartements, firent à leur tour une décharge dans la cour.
    Pierre avait déjà atteint la porte royale, mais, avant de la franchir, il se retourna pour attendre Antoine. Soudain, il posa la main

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