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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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massacreurs venait de se mettre en travers du cheval dont il agrippa à son tour la bride.
    — Laisse-nous passer, citoyen, hurla Antoine, nous avons ici un sans-culotte gravement blessé.
    Loin de se presser, l’homme, qui dégouttait de sang, s’approcha du tombereau de la carriole, jeta un coup d’œil sur le corps de l’enfant, et se contenta de faire un signe de tête en guise de laissez-passer. La carriole s’ébranla à nouveau, déviant sur le bas-côté pour éviter les corps des suppliciés dont certains se convulsionnaient de manière horrible. Ici et là, des femmes s’acharnaient contre les blessés ou mutilaient frénétiquement les cadavres. Près d’Antoine, le jeune marchand se mit à vomir dans la voiture, éclaboussant le Toulousain et le cul de son cheval. Tout ici puait l’effroi et la mort.
    La carriole quitta enfin la rue alors que les massacres ne faisaient que commencer. Ce n’étaient partout que chasse à l’homme, démembrement et décapitation de prisonniers. Antoine avait les yeux hagards, l’uniforme couvert par le sang de Pierre. Il n’arrêtait pas de lui caresser les cheveux, en le priant doucement de tenir encore un peu. Il tressaillait à chaque cahot de la voiture qui décuplait les souffrances de son protégé. Il ne savait plus quoi faire. Pierre ne tiendrait jamais jusqu’à la rue Mauconseil. Il fallait encore dépasser le Palais-Royal, longer le Louvre, emboucher la rue Saint-Denis avec les encombrements de la Halle et l’arrêt des patrouilles.
    — Tu ne connais pas un bougre de médecin dans le quartier, demanda-t-il à son guide ?
    — J’en connais un, près d’ici, le docteur Jarry.
    — Tubleu ! Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ! Cours-y donc !
    Le jeune marchand était froissé par le ton d’Antoine ; il aurait voulu lui répondre, mais la perception de l’urgence jointe à l’expression de folie du Toulousain, l’en dissuada bien vite. Il sauta d’un bond de la carriole et disparut au coin d’une rue. Pierre respirait très faiblement. On voyait que sa vie ne tenait plus qu’à un fil. Dix longues, dix atroces minutes passèrent ainsi. Antoine vit enfin réapparaître le jeune marchand, flanqué d’un homme qui devait être le médecin.
    Ce dernier ausculta l’adolescent.
    — Il ne faut plus le remuer, dit-il, il perd trop de sang. Je dois lui enlever la balle qu’il a reçue puis arrêter l’hémorragie, en espérant qu’il survivra.
    — L’opérer, mais où ?
    — Ici, nom de Dieu ! Ici même, répondit Jarry qui était manifestement aussi sanguin qu’Antoine.
    Celui-ci ne broncha pas, trop satisfait d’avoir trouvé un maître de l’art.
    — Christophe ! cria le docteur, va vite me chercher une bassine, de l’eau-de-vie et quelques serviettes propres à l’enseigne du Cygne Blanc .
    Le marchand s’y précipita et, lorsqu’il revint, quelques minutes plus tard, Jarry commença à extraire la balle, à vif, avec une petite lame bien tranchante comme Antoine n’en avait jamais vu. Pierre mordit jusqu’au sang la main du Toulousain avant de s’évanouir, tant la douleur était insupportable. Une fois qu’il fut pansé, le médecin se tourna vers le peintre.
    — Voilà, vous le transporterez doucement jusqu’à l’auberge, là-bas, ce sont des braves gens, ils l’accueilleront. J’ai pu arrêter pour l’instant l’hémorragie mais il ne faut surtout pas qu’il bouge. S’il passe la nuit, il a peut-être une chance de survivre, mais je n’y crois pas trop.
    La joie d’Antoine se mêla soudain de désespoir. Dans l’immédiat, on avait échappé au pire, mais rien n’était réglé. Il transporta l’adolescent avec mille précautions jusqu’à l’auberge du Cygne Blanc . Il y loua une chambre et alla remercier le marchand. Quand tout fut réglé, il s’installa près de Pierre.

VII
    Il passa la nuit au chevet de son protégé, se levant régulièrement pour éponger son front ou humidifier ses lèvres. Il était lui-même épuisé et luttait contre le sommeil. Au petit matin, il s’assoupit enfin. Mais il rêva que Pierre était mort. Il s’éveilla en sursaut. Pendant de longues secondes, il fut incapable de distinguer l’illusion de la réalité. Il ne savait plus où il était. La lumière inondait la pièce. L’enfant était étendu devant lui. Son visage semblait apaisé, sa respiration régulière. Il venait de remporter une première victoire. Vers midi, Antoine abandonna

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