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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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accueillaient chaleureusement les émissaires des autres quartiers ; ils se promettaient assistance ou fidélité et juraient d’être les premiers à mériter l’auréole du martyre…
    Repu de déclamations, Antoine sortit de l’église. Il regagna son comité où il reçut un fusil, de la poudre et des balles. Il était près de trois heures du matin quand son bataillon fut rejoint par six cents hommes armés de la section de Bonne-Nouvelle. Le Toulousain s’était assoupi, le dos au mur, la tête enfoncée entre ses bras croisés ; mais les cris des officiers, le tumulte des pièces d’artillerie qu’on rassemblait dans la rue, le réveillèrent en sursaut ; il était ahuri de sommeil, à demi aveuglé par la lumière des flambeaux. Sur les étendards, il lut machinalement : La liberté ou la mort , la sainte insurrection du peuple contre la tyrannie du roi . Il salua les citoyens qu’il connaissait, avant de se rendormir une dernière fois. Lorsqu’il rouvrit enfin les yeux, l’aube pointait à l’horizon ; l’heure du départ avait sonné.
     
    Il rejoignit les bataillons de la rive gauche, à la hauteur du Pont-Neuf, avec les Marseillais et l’avant-garde du faubourg Saint-Antoine. Émergeant d’une forêt de pics et de baïonnettes, une grande forme noire tranchait sur le ciel rouge sang, comme si un cavalier de l’Apocalypse avait enfourché le fleuve. C’était la statue équestre d’Henri IV. Une vie entière semblait séparer le Méridional de ses premiers trébuchements parisiens, de ce jour où, insouciant et curieux, il avait pour la première fois tourné le dos à la place Dauphine. Mais ce matin-là, il n’avait pas l’esprit à la rêverie. Il sentait sa gorge sèche et ses mains moites comme avant chaque combat. Dans moins d’une heure, il entrerait sans doute dans cet état où l’on réagit d’instinct, où l’on se ferme à tout ce qui n’est pas concentré sur la survie ; il disséquerait alors chaque mouvement et chaque bruit.
    Il était huit heures. Commandée par Westermann, une première colonne se déploya sur la place du Carrousel où piétinait déjà une masse d’individus armés, femmes, vieillards, enfants, sectionnaires et gendarmes. Certains rôdaient autour du château comme une meute de hyènes attirées par l’odeur du sang. C’était une horde bigarrée d’avaleurs de gargotage, de mange-godaille aux haleines fétides, de faces patibulaires emperruquées de leurs ganaches, de mines de gobins échappés de l’hospice. Au milieu des braves citoyens, parmi les vrais soldats, se mêlaient de franches canailles. On les reconnaissait à leur regard fuyant, à l’excitation avec laquelle ils mûrissaient leur triste besogne, comme si la seule perspective de commettre un crime les ressuscitait ; c’était les assassins du dimanche, les combattants de la dernière heure, ceux qui n’étaient là que pour tirer dans le dos de l’ennemi, massacrer les prisonniers ou achever les blessés. Antoine l’ignorait, mais un peu plus tôt, sur les marches de l’Hôtel de Ville, un lâche avait fracassé le crâne du commandant de la garde nationale d’un coup de pistolet tiré à bout portant. Il ignorait aussi que la foule, excitée par Théroigne de Méricourt, venait de massacrer le journaliste Suleau et tous les détenus du poste des Feuillants, dépeçant leurs cadavres avant d’exhiber leurs têtes sanglantes.
    Ici, en revanche, il n’y avait pas encore eu de drame. À cheval sur le mur d’enceinte, une vingtaine d’individus devisaient avec des factionnaires. Des canonniers et des gendarmes nationaux, censés protéger le roi, avaient déjà tourné leurs armes contre le château. Défenseur et insurgés fraternisaient, échangeaient leurs cartouches, s’interpellaient amicalement à travers les fenêtres du corps de garde. Antoine s’en réjouissait ; il espérait que l’on éviterait un bain de sang. Il n’avait aucune envie de revoir les scènes qui le hantaient depuis la prise de la Bastille.
    Il était au Carrousel depuis une demi-heure quand le roi, la reine et les enfants de France se dirigèrent vers l’Assemblée nationale pour y trouver refuge. Le Toulousain n’en savait rien ; il n’entendait que les vagues rumeurs qui se répandaient au sein de la foule, de ce côté-là des Tuileries, jusqu’au moment où, près de lui, quelqu’un cria : « Le roi s’enfuit, le roi s’enfuit ! »
    Ce fut un soulagement. Il n’y

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