Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
Vom Netzwerk:
hache ; on affirmait aussi qu’elle permettait des mises à mort égalitaires. Existait-il d’ailleurs une autre égalité que celle-là ? Malgré tout, Amélie et Antoine n’avaient pu s’empêcher de frissonner, de sentir une suée froide leur glacer l’échine. Une autre fois, ils étaient passés place de Grève, juste après l’exécution d’un contrefacteur d’assignats, pendant que le bourreau nettoyait la planche sur laquelle venait de basculer le condamné. Ils avaient pensé à la terreur de cet homme, à la chemise déchirée par Sanson, aux cheveux coupés à la hâte, et surtout à cette tête, encore palpitante d’angoisses, de pensées et de vie, que la grande diagonale avait fait rouler dans le panier.
    La nuit fut interminable. Les Loisel attendaient, cloîtrés dans leur appartement, l’achèvement du supplice. Ils ne raisonnaient plus et se sentaient étrangement reliés au corps mystique du roi.
    Il existait une intimité tragique dans laquelle les jeunes amants ne pouvaient s’insinuer. Mais leur sensibilité, mêlée d’imagination, leur permettait d’entrevoir quelques vérités universelles. Antoine se souvenait de la démarche hésitante du monarque et de son regard myope d’où ne perçait aucune noirceur. Si la bonté est une faiblesse pour le commun des mortels, elle devient un crime pour les rois. Quelques semaines plus tôt, en apprenant que Malesherbes avait courageusement offert de défendre Louis XVI, Antoine avait pensé à la noblesse d’âme de Neuville. Il ignorait qu’en visitant l’illustre prisonnier du Temple, Malesherbes n’avait pu retenir ses larmes ; les deux hommes s’étaient même embrassés comme des parents qui se verraient pour la dernière fois. Malesherbes, le grand Malesherbes, le protecteur des Encyclopédistes, le magistrat qui avait défendu les protestants, l’une des gloires de ce siècle, serait lui-même guillotiné l’année suivante comme son gendre, sa fille, sa petite-fille et le mari de celle-ci…
    Louis venait de s’éveiller. Abîmé dans ses dévotions, il n’écoutait que d’une oreille distraite les préparatifs de sa propre mort. L’abbé Edgeworth de Firmont le dissuada de revoir ses proches une dernière fois pour ne pas leur infliger trop de peine : le roi y consentit avec beaucoup d’élégance et de courage. En donnant d’ultimes recommandations au valet Cléry, il se mit pourtant à pleurer. À l’extérieur, le tumulte augmentait. On entendait la générale, le roulement des canons, le cliquetis des armes. Santerre pénétra dans la tour, accompagné de municipaux et de gendarmes. L’heure du supplice avait sonné. Louis XVI reçut alors la bénédiction de son confesseur, puis sortit et traversa la première cour où il se retourna comme pour dire adieu à sa famille. Il monta dans une voiture avec l’abbé et deux maréchaux des logis. À son passage, les rues étaient bordées par plusieurs rangs de sectionnaires et de gardes nationaux. Il régnait un silence lugubre dans cette foule hérissée de baïonnettes et de piques. Seuls quelques téméraires osèrent crier : « Grâce ! Grâce ! » Mais le roulement des tambours et le piétinement des chevaux de l’escorte couvrirent leurs suppliques. Le roi était tout à son destin. Absorbé par le bréviaire de son confesseur, il récitait les psaumes des agonisants.
    Au bout d’une heure, la berline s’immobilisa enfin. L’un des gendarmes ouvrit la portière dévoilant la guillotine dressée sur la place de la Révolution, face aux Champs-Élysées. Louis XVI descendit le dernier et ôta lui-même son manteau. On voulut lui lier les mains. Il s’y refusa, en vain. Il commença à gravir les marches, flanqué de l’exécuteur et du prêtre.
    Mais, une fois sur la plate-forme, il accéléra le pas, rejoignit rapidement la balustrade et cria de toutes ses forces : « Peuple, je meurs innocent ! Je pardonne aux auteurs de ma mort ! Je prie Dieu que mon sang ne retombe pas sur la France. » Les aide-bourreaux l’avaient déjà rejoint, saisi, lié à la planche, tandis que le roulement des tambours se faisait plus intense. La planche bascula. On entendit un dernier cri qu’étouffa, d’un coup sec, la lame de l’échafaud.
    L’un des aide-bourreaux saisit la tête sanglante du roi et la montra au peuple. Une clameur retentit aussitôt sur la place :
    — Vive la Nation !
    Le canon tonna. Puis ce fut le silence, un silence profond,

Weitere Kostenlose Bücher