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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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flanc du jeune cavalier dont il venait de croiser le regard, d’entendre son cri de douleur, de voir le rictus de l’agonie lui déformer le visage.
    Pour d’autres raisons, sa première charge avait été tout aussi difficile. Ni devant la Bastille ni face aux Tuileries il n’avait ressenti une telle angoisse. Il avait eu l’impression de se jeter soudain dans un abîme avec son cheval, comme s’il n’était plus qu’une balle échappée d’un fusil ou une pierre que l’on jette dans un puits sans fond. La charge ! C’était pourtant la grande affaire. On arrivait d’abord à une allure modérée, le plus près possible de l’ennemi, bien aligné avec les autres cavaliers, puis, au commandement du chef, on mettait sabre au clair et on s’élançait à bride abattue. Avec le temps, la peur s’était muée en ivresse, comme si la mort n’avait plus d’importance. On ne faisait qu’un avec le cheval. On s’étourdissait de ses propres cris comme de ceux des camarades, du son furieux de la trompette, du grondement des sabots qui martelaient la glaise.
     
    Au lendemain de Valmy, Antoine et les cavaliers du 12 e avaient talonné mollement les Prussiens en direction de Suippes et de Grandpré, traversant la Champagne pouilleuse, avant de rejoindre le camp de Curgies, près de Valenciennes. Pendant ce mois passé sur les routes, ils avaient encore crevé de faim ; à peine leur avait-on donné quelques provisions de bouche dans le village de Cernay. Mais ils devaient accomplir leur devoir, servir la jeune République et rendre son honneur à l’armée française. Le bombardement de Lille par les Autrichiens avait stimulé leur désir de revanche en y ajoutant, pour certains, un soupçon de fanatisme. Antoine ne voyait pas encore dans quelle spirale une telle guerre pouvait l’entraîner. Le 4 novembre, il avait attaqué les avant-postes impériaux au bois de Boussu, devant Mons, et, le lendemain, les redoutes de Jemmapes. Le 6 novembre, il était monté à l’assaut derrière Dumouriez et le fils d’Égalité, ci-devant duc de Chartes et futur roi des Français. Le 10 enfin, les cavaliers du 12 e s’étaient trouvés à Enghien et, de là, ils avaient galopé jusqu’à Bruxelles.
    — Escadron, en avant, marche ! commanda le brigadier.
    La halte avait été de courte durée. Il fallait encore se battre. Les Autrichiens s’étaient massés dans le village d’Anderlecht pour couvrir leur retraite. Pendant des heures, le canon ne cessa de tonner. Le soir, Antoine entra avec son escadron dans Bruxelles par le faubourg de Flandre. Avec quelques camarades, il alla loger à l’auberge des Deux Pucelles où, pour la première fois, il put goûter un repos mérité. Dans toute la ville, on célébrait les Français comme des libérateurs. Ce n’étaient que vivats, coups de canon, illuminations et feux de joie.
    La liesse n’allait pas durer. Antoine s’en aperçut, dès le surlendemain, lorsqu’il se rendit à l’hôtel du Prince de Galles , rue de la Loi, pour célébrer la libération de Bruxelles. Il y entendit des Jacobins exalter les soldats morts pour la patrie, fulminer contre les despotes et se proposer, non sans arrogance, d’émanciper le peuple belge. À la sortie du banquet, il suivit la bande jusqu’aux Jésuites qu’on baptisa aussitôt « le berceau de la liberté Belgique ». Tous les despotes subalternes étaient présents, les chantres de la vertu, les hurleurs de club, les rapaces, les maltôtiers et les concussionnaires, tous ceux qui allaient tyranniser la ville et la mettre en coupe réglée. Parmi eux, Antoine remarqua le lieutenant général Moreton, un militaire ci-devant noble, courageux mais brutal, qui avait tourné au jacobinisme exagéré ; près de lui, d’Espagnac, un abbé défroqué, lui aussi d’origine noble ; fin lettré et âpre au gain, il vivait dans le luxe tout en conspuant les riches et en prêchant l’égalité ; on rencontrait encore le citoyen Balsa, un avocat de Louvain, ou encore Chateignier, un folliculaire stipendié par l’Autriche, qui mettait désormais sa plume au service de la République. Après que l’assistance eut entonné la Marseillaise , Antoine sortit du club, fort peu édifié.
    Le jour même, il quitta la ville afin de poursuivre la campagne avec son régiment. La journée du 27 novembre commença sous de bons auspices. Il se battit comme un lion entre Saint-Trond et Liège. Mais, soudain, alors qu’il chargeait

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