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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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connaisse le citoyen et réponde de son civisme ?
    Et comme personne n’avait répondu, le président s’était contenté de conclure :
    — Ajourné.
    Antoine s’approcha à son tour de l’estrade en essayant de dissimuler sa nervosité. Le président posa la question rituelle, mais cette fois, une voix criarde s’éleva des gradins.
    — On prétend que la femme du citoyen Loisel entretient une correspondance secrète avec son frère émigré.
    C’était Migot, le spécialiste de la délation que détestait Antoine.
    — Que réponds-tu à cette accusation grave ? demanda le président.
    Le Toulousain se justifia comme il l’avait déjà fait à diverses reprises. Mais, au bout de quelques instants, le président l’interrompit et dit simplement : « Ajourné. »
    Antoine éprouva un grand désarroi. L’image d’Amélie lui redonna toutefois courage. Ravalant sa fierté, il décida de parler à Migot. À la fin du conseil, le peaussier sortit en faisant mine de ne pas le voir, mais Antoine n’hésita pas à l’entreprendre. La supplique fut d’autant plus humiliante que, tout en l’écoutant d’une oreille distraite, le sectionnaire continuait à marcher.
    — Migot, j’aimerais que tu m’écoutes, il n’y a aucune preuve contre…
    — Il n’y en a pas pour l’instant.
    — Tu sais ce que j’ai fait pour la patrie, ne m’oblige pas à le rappeler…
    — Tu n’as fait que ton devoir ; il est normal de défendre la patrie et il n’y a pas besoin de s’en vanter.
    Antoine étouffait de rage. Ce scélérat, dont tout le patriotisme se limitait à dénoncer des citoyens sans défense, ce pleutre qui n’avait jamais fait la guerre, osait le toiser avec une morgue insupportable ! Mais il fallait s’abaisser un peu plus, lui baiser la main, lui lécher les souliers s’il le fallait.
    — C’est vrai, je n’ai fait que mon devoir, se contenta de répondre Antoine avec humilité.
    L’autre lui décocha un petit sourire revanchard.
    — Je suis fatigué ce soir, dit-il, la Nation m’accapare et j’ai mon métier. Tu n’as qu’à passer à la boutique pour me présenter tes arguments.
    — Merci, répondit Antoine.
    Comme ce merci lui avait coûté ! Il rentra chez lui, ne dit rien de ses démarches à sa femme et, dès le lendemain, il se trouvait dans la boutique de Migot. Le peaussier prit un malin plaisir à le faire attendre. Puis il écouta ses arguments, l’air grave et hautain ; à la fin de l’entretien, il se contenta de dire qu’il ne pouvait rien décider seul, qu’il en reparlerait au comité et qu’on verrait bien plus tard.
    Toutes les démarches s’étaient révélées inutiles. Antoine se demandait s’il allait solliciter Virlojeux pour obtenir le papier tant convoité. L’avenir lui parut sombre. Il était toujours aussi inquiet pour Amélie. S’ils pouvaient obtenir un passeport, ils partiraient en Vendée. Ce ne serait pas un sacrifice ; la République menaçait sa femme, alors qu’importait sa carrière ! Comme avant le 10 août, comme après septembre, l’essentiel était d’agir avec prudence. Antoine avait d’abord songé à Toulouse, mais les Jacobins y étaient très actifs. À Morlanges, en revanche, dans cette terre où les solidarités locales semblaient aussi enchevêtrées que la végétation du Bocage, Amélie serait protégée. Partir à l’étranger ? Il n’y songeait même pas. La France était en guerre contre une grande partie de l’Europe, c’eût été trahir. Il ne voyait pas encore à quel point ses bons sentiments et sa rectitude d’âme pouvaient le perdre. Il fit donc part de sa décision à Amélie qui, pour une fois, l’accepta sans discuter.
     
    Antoine rencontra Virlojeux près de l’Abbaye. Le gazetier se montra particulièrement prévenant. Il jura de faire l’impossible pour obtenir un passeport. Quant au certificat de civisme, il ne pouvait rien promettre. Le jeune homme l’invita à dîner pour le remercier. Ils prirent un fiacre jusqu’à sa section, que l’on avait rebaptisée Bon-Conseil après le 10 août. Ils grimpèrent l’escalier ; Antoine se sentait soulagé. Il ouvrit la porte et appela gaiement sa femme. Mais elle ne répondit pas. Le visage du peintre se contracta ; il accéléra le mouvement, se précipita dans les chambres ; Amélie n’y était pas.
    — Elle ne devait pas sortir, dit-il à Virlojeux…
    — Elle aura été faire une course, suggéra le

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