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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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l’ennemi pour la troisième fois, son cheval fut atteint d’une balle en pleine tête ; l’animal s’effondra et le jeune homme fit une chute terrible qui manqua lui briser la nuque.
    Antoine était couché dans la boue ; la douleur était si forte qu’il perdit connaissance. Quand il s’éveilla, il faisait déjà nuit ; il se trouvait dans une ambulance du régiment. Le 12 e Chasseurs bivouaquait à même le champ de bataille, sous la neige qui tombait à gros flocons. La douleur était insupportable. Il ne sentait même plus la bise glaciale. Dans ses moments de lucidité, il enviait presque ses camarades qui étaient transis de froid, mais valides. Il se demandait si Amélie supporterait un infirme, s’il allait pouvoir un jour remonter à cheval ou même remarcher.

II
    Il avait eu beaucoup de chance. La colonne vertébrale n’était pas atteinte. Il resta hospitalisé à Liège pendant trois semaines, puis rentra à Paris, lorsqu’il put à nouveau se déplacer. Amélie quitta aussitôt la Vendée pour se rendre dans la capitale, malgré les défenses réitérées d’Antoine. Si elle en avait eu la possibilité, elle aurait couru jusqu’à Valenciennes et même jusqu’à Liège. Ils se retrouvèrent vers la fin du mois de décembre, alors que se déroulait le procès de Louis XVI. Leur première réaction fut de s’extraire du monde ; ils ne pensèrent qu’à s’aimer et à jouir de leurs retrouvailles. Ils suivirent pourtant les débats de l’Assemblée à travers le compte rendu des journaux et les conversations du quartier. On allait juger le dernier roi de France. Comment se désintéresser d’un tel événement ?
    Le Toulousain lut avec émotion le petit discours que Louis XVI avait prononcé pour sa défense devant la Convention. Plus que toute autre, l’accusation d’avoir voulu répandre le sang des Français blessait le roi déchu. Antoine pensa aux dernières paroles de Neuville, au témoignage qu’il avait rendu de l’humanité de Louis XVI. Sans doute ce dernier fut-il un piètre monarque constitutionnel, sans doute entretint-il des relations coupables avec l’Autriche, obéissant à une logique éculée suivant laquelle la souveraineté ne résidait pas dans la Nation mais dans le corps même du roi ; on ne pouvait toutefois lui dénier sa profonde générosité ni les importantes réformes qu’il avait menées avant 1789. Or tout cela n’entrait plus en ligne de compte dans une période enfiévrée par une guerre européenne et une révolution, une époque où la clémence relevait déjà de la trahison. Certains voulaient montrer à l’Europe qu’il n’y aurait aucun retour possible et que la France ne serait plus jamais une monarchie.
    Amélie et Antoine auraient dû songer à tout ce qu’il y avait de politique à souhaiter cette mort-là, mais ils n’arrivaient pas à spéculer aussi froidement sur la vie d’un homme, fût-il le roi. Ils étaient touchés par la détresse de Louis XVI. Ils le savaient isolé dans la prison du Temple, mais ignoraient toutes les vexations que les commissaires de la Commune lui faisaient quotidiennement subir, lui ôtant sa plume, ses papiers et même ses couverts de table, allant jusqu’à le séparer cruellement de sa femme et de ses enfants. C’était un homme triste et résigné que les députés écoutèrent le 26 décembre à l’Assemblée.
    Les jours passèrent, on s’approchait de la décision finale. La province était favorable à l’appel au peuple, mais la province ne conduisait pas la France. Le 14 janvier, l’Assemblée jugea que Louis Capet était coupable et l’appel au peuple fut rejeté. Trois jours plus tard, la Convention votait la mort, à une faible majorité.
    Le 21 janvier, la place de la Révolution fut investie par une foule impressionnante de citoyens armés. Seuls des sectionnaires triés sur le volet pouvaient approcher du lieu de l’exécution. Des détachements de cavaliers, de fantassins et d’artilleurs surveillaient étroitement les rues. On redoutait une tentative désespérée visant à sauver le roi. La tension était extrême. La veille, un garde du corps de Louis XVI avait poignardé un député régicide.
    Les Loisel avaient déjà aperçu la guillotine, quelques mois plus tôt, en se promenant près du Carrousel. Elle était là, défiante, dressée comme une main noire, gantée de fer. On prétendait cette méthode plus humaine que la pendaison ou la décapitation à la

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