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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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citoyen ? lui demanda le président.
    — Un certificat de civisme.
    — Ton nom ?
    — Antoine Loisel.
    Un des membres se baissa pour chuchoter à l’oreille du président.
    — Ah ! Oui, Loisel, j’ai entendu parler de toi… Ton âge ?
    — Vingt-trois ans.
    — Ton état ?
    — Peintre.
    — Tu étais un de ces barbouilleurs soldé par le tyran ?
    — Non, citoyen président.
    Il valait mieux ne pas évoquer les Académies ci-devant royales ; certains Jacobins, tels Carra, Brissot ou Marat, n’y avaient jamais été reçus avant la Révolution et, depuis lors, ils considéraient ces aréopages comme les repaires du despotisme.
    — Tu as ta liste de témoins ?
    — La voici.
    — As-tu bien rempli tes devoirs civiques ?
    — Oui, citoyen. J’ai même participé à la prise de la Bastille.
    — Tu es donc inscrit sur la liste des Volontaires qui ont attaqué cet antre de brigands
    — Non, mais… j’ai été au 10 août et…
    — Tais-toi ! Qu’as-tu fait dans ta section ?
    — J’ai été au comité de bienfaisance.
    — Combien de temps ?
    — Quelques semaines.
    — C’est peu. Donne ton certificat de résidence.
    Antoine lui tendit la pièce sans rien dire. Les autres sectionnaires le dévisageaient attentivement, sauf un qui bayait aux corneilles.
    — Quelqu’un veut-il poser des questions au pétitionnaire ? demanda le président.
    — Oui, moi, dit l’un des membres.
    Et, s’adressant à Antoine, ce dernier ajouta.
    — Ta femme a été soupçonnée de correspondre avec des émigrés.
    — C’est faux, citoyen, je m’en suis déjà expliqué devant le commissaire Surin, en août dernier ; aucune preuve n’a pu étayer cette calomnie.
    Les membres de l’assemblée se concertèrent du regard, puis le président reprit la parole.
    — Bon, maintenant retire-toi. Le comité étudiera ta demande.
     
    Il fallait attendre l’aval du conseil de la Commune. Après plusieurs démarches inutiles, Antoine fut enfin convoqué. À cette époque, un refus ne rendait pas encore automatiquement suspect. Le Toulousain se rendit donc confiant à l’Hôtel de Ville.
    Il était sept heures du soir, le conseil venait de se former. Le président occupait l’estrade avec les secrétaires et les officiers principaux. Les représentants de toutes les sections leur faisaient face, installés dans les gradins. Antoine et les autres pétitionnaires étaient massés sur la gauche tandis que les femmes du peuple tricotaient ou raccommodaient des vêtements dans les tribunes. Il y avait là des jeunes et des vieilles, des replètes et des maigres, des silencieuses et de franches gueulardes. La plus bruyante faisait penser à l’une de ces grosses gagui de la Halle, comme on disait alors dans le peuple pour désigner une femme à embonpoint qui se donnait l’air enjoué et résolu. Mais celle-ci n’avait rien de réjoui et ressemblait davantage à une méchante commère. D’autres étaient plongées dans leur ouvrage qu’elles interrompaient pour applaudir, huer, ou chanter à tue-tête la Carmagnole . Les séances de la Commune relevaient souvent du théâtre de boulevard. Les débats étaient constamment interrompus par les vociférations des tribunes, les chants patriotiques, les sermons déclamatoires, les dénonciations, les roulements des tambours, la parade de soldats chantant des poèmes ou exhibant leurs blessures… Et dès que la ronde semblait s’achever, elle reprenait encore.
    Depuis plus de trois heures, Antoine attendait, debout, son certificat de civisme avec une centaine de personnes. Il regarda autour de lui les visages des quémandeurs ; comme dans un miroir, il y reconnut sa docilité et ses propres inquiétudes. Même s’ils avaient peur, même si certains haïssaient les sans-culottes, il leur fallait applaudir, paraître joyeux et faire semblant de beugler avec les autres. Il y eut quelques instants de silence, mais au lieu d’en venir aux certificats, le président entonna lui-même un chant qui dura une demi-heure et fut, comme il se doit, copieusement ovationné. La représentation cessa vers une heure du matin, sans qu’on eût interrogé les pétitionnaires. Antoine dut revenir le lendemain, puis le surlendemain. Le troisième jour enfin, il fut reçu.
    Le citoyen, qui l’avait précédé, n’avait pas eu de chance. Le président s’était adressé à l’auditoire en utilisant la formule consacrée :
    — Y a-t-il quelqu’un qui

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