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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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terrible. Au passage de l’abbé Edgeworth de Firmont, la foule s’écarta de manière instinctive, presque révérencieuse. Il se produisit alors une chose étonnante. Ces Français libres, ces citoyens des Lumières, ces hommes et ces femmes du Peuple de Paris, qui avaient pris la Bastille, envahi Versailles, les Tuileries et dont les armées défiaient presque toute l’Europe, ces Français-là vinrent tremper leurs mains dans le sang du supplicié.
    Rue Mauconseil, quelqu’un cria : « Vive la République. » Les Loisel comprirent que tout était fini.
     
    Le lendemain, Antoine erra dans les rues, à la fois triste et songeur. Comme sa femme, comme d’autres Français, il avait la sensation d’avoir perdu un membre de sa famille. Le Toulousain n’avait jamais été fasciné par Louis XVI, mais la Passion du dernier des Bourbons l’avait ému. Tout en marchant, il cherchait à reconnaître ses propres sentiments dans le regard des passants. Il les reconnaissait parfois, même si, déjà, la vie de la grande ruche parisienne avait repris son cours.
    Il s’arrêta au Palais-Égalité, ci-devant Royal, pour éplucher les gazettes. Un groupe de sans-culottes, attablés près de lui, portait des toasts au châtiment de Louis Capet, à la République, à la sainte Montagne. Devant eux, une brochure, publiée avant l’exécution, portait en gros titre : Républicains, guillotinez-moi ce jean-foutre de Louis XVI et cette putain de Marie-Antoinette .
    — Buvons à la saignée du gros cochon ! dit l’un.
    — À Louis-le-dernier si bien tondu par le rasoir national ! fit l’autre.
    — À cette garce d’Autrichienne qui va bientôt le rejoindre ! jubila un troisième.
    — Au citoyen Marat ! ajouta le dernier.
    Les invocations étaient entrecoupées de beuveries et de rires. Au bout d’une demi-heure, deux de ces drilles prirent congé. Les autres se rapprochèrent pour commenter l’événement. Ils parlaient à voix basse mais Antoine était suffisamment proche pour les entendre.
    — On a escoffié le cocu, mais ce serait bien dommage de raccourcir tout de suite cette gueuse d’Antoinette. Faudrait d’abord l’obliger à faire la putain dans un bordel. Eh ! Pour cette gourgandine, ce s’rait pas une punition, mais une récompense.
    — Arrête de bailler des bourdes…
    — Quoi ! Me dis pas que t’as jamais eu envie d’enfiler cette drôlesse.
    Il s’approcha encore et baissa un peu plus la voix.
    — Pardi, moi ça me fait bander d’imaginer le foutre couler sur ses belles cuisses blanches. Tu t’imagines, toi, en train de lui brandouiller la motte, de lui gamahucher le bout des tétons, d’la voir remuer doucement la charnière.
    — Arrête, tu m’fais bander !
    — Ah ! T’aimes ça mon gaillard, t’as dû en lire des brochures grivoises en t’astiquant le membre.
    — Eh ! Qui n’en a pas lu !
    — Moi, ça m’exciterait bien de foutre une aristocrate ou une bourgeoise qui se donne de grands airs, alors l’Antoinette, tu penses bien… C’est pas ce lâche couillardin de Capet qui devait l’enfiler avec son vit tout mollet. Ah ! Si j’pouvais, j’lui enfoncerais mon braquemart jusqu’aux gardes. Paraît même que cette sacrée coquine donne des leçons de fouterie à son fils !
    Antoine, qui en avait assez entendu, se leva et rentra chez lui. Cette conversation ne l’avait pas étonné ; pendant des années, il avait écouté les mêmes couplets, en ville ou à l’armée, avant comme après la Révolution, mais il était écœuré de constater que le deuil n’assurait même pas quelques heures de trêve. Il savait que cette ordure-là animait un grand nombre d’hommes, qu’ils fussent riches ou pauvres, nobles ou bourgeois. Ils aimaient jouir dans la saleté et se repaître d’abjections. Ils étaient stimulés par la perversité, ils jubilaient de la dégradation de l’autre, de son avilissement. Humanité, vertu, peuple, patrie… tout cela n’était peut-être que des mots, une façade derrière laquelle se cachait une réalité sordide. Et Antoine se demandait s’il était lui-même exempt de toute cette crasse mentale.
     
    Deux jours plus tard, il se rendit au comité de sa section pour y demander un certificat de civisme. S’il l’obtenait, il pourrait peut-être protéger sa femme.
    Il poussa la porte du comité. À l’intérieur se trouvait une demi-douzaine d’olibrius encapuchonnés de leur bonnet rouge.
    — Que veux-tu

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