Dans l'ombre des Lumières
les visites de l’officier de santé Thomas lui apportèrent un léger réconfort. Le praticien faisait l’impossible pour atténuer les souffrances des prisonnières. Comme il avait été doux de voir ce républicain se pencher sur elle avec humanité et lui poser des questions sans haine ! Il lui rappelait un peu son Antoine. Mais, il ne faisait que passer, et les heures étaient longues.
D’autres compagnes avaient été décapitées ou fusillées, des vieilles, des jeunes, des paysannes, des nobles, des domestiques… On les emmenait parfois au nord-ouest de la ville, dans les carrières du Gigant où on laissait pourrir leurs cadavres. Amélie leur disait adieu ; elle les embrassait, une dernière fois, puis les prisonnières s’encourageaient mutuellement à être courageuses face à la mort.
Elle attendait son tour. Les Jacobins ne l’avaient pas encore traînée devant la commission militaire. Elle y passa finalement. Tout se déroula très vite. Les Marat la poussèrent sans ménagement jusqu’au lieu des séances où l’accusateur David Vaujois lui posa des questions en galopant.
— Ton nom ?
— Amélie Loisel.
— Ton âge ?
— Vingt-trois ans.
— Ci-devant noble ?
— Oui.
Les juges assesseurs se regardèrent, puis, sans même affronter le regard de la jeune femme, Vaujois lâcha entre ses dents :
— Tu es reconnue coupable d’avoir suivi les brigands de la Vendée… La mort.
On l’emmena pendant qu’une longue file de prisonniers attendait derrière elle. Quand et comment serait-elle exécutée ? Elle l’ignorait.
Un jour pourtant, on vint la chercher. Elle crut que sa dernière heure avait sonné. Elle se trompait. On se contenta de la transférer dans un autre lieu d’enfermement. Il ne s’agissait pas d’une prison comme les autres, mais d’un véritable enfer ; et de cette prison-là, on ne sortait vivant que pour être supplicié.
1 - Créée par le comité révolutionnaire de Nantes, la compagnie des « Marat » constituait l’une des armées révolutionnaires établies en 1793.
XI
Le soir même de l’arrivée d’Antoine à Nantes, Favier entra au Bon Pasteur, flanqué d’un infirmier et d’un étudiant en médecine. Il s’entretint avec l’officier de santé Thomas, mais ce dernier fut incapable de lui dire si une certaine Amélie Loisel logeait dans la prison. Le registre d’écrous, que Favier s’empressa de consulter, ne mentionnait même pas son nom. Pour éviter toute méprise, le médecin passa des heures à examiner toutes les captives, jusqu’au moment où le concierge Fleurdepied vint le trouver.
— La femme que vous cherchez…
— Oui, eh bien ?
— Les Marat l’ont emmenée hier à l’Entrepôt des cafés.
Favier resta pétrifié. Il savait que cet ancien magasin de produits coloniaux, situé à l’ouest de la ville, entre le Sanitat et les carrières de Gigant, constituait l’antichambre de la mort. Mais il était loin de soupçonner tout ce qui s’y passait. Il préféra ne rien dire à Antoine avant de s’assurer de la présence de sa femme. Il sollicita donc l’autorisation de visiter la prison, mais, comme il était déjà tard, on ne lui permit pas d’y aller avant le lendemain matin.
Il s’y rendit dès l’aube avec le jeune étudiant et l’infirmier. Favier ignorait qu’en les emmenant avec lui dans ce foyer de contagion, il les condamnait à mort. Devant la porte, un Marat lui fit quelques difficultés, malgré ses papiers en règle. Les assassins n’aiment pas dévoiler la scène de leurs crimes. Favier insista, menaça, puis entra. Ce qu’il vit alors dépasse en horreur ce que l’être le plus pervers peut imaginer. L’Entrepôt n’était pas une prison, mais un vaste mouroir où croupissaient près de huit à dix mille personnes.
Des enfants étaient noyés dans des baquets d’excréments ; d’autres expiraient. Un peu partout, des êtres humains décharnés haletaient, agonisaient dans une atmosphère nauséabonde ; les vivants étaient couchés sur de la paille hachée, infectée de sang et de merde, au milieu des cadavres décomposés. Le médecin, qui pourtant avait déjà vu tant d’abominations, se sentit défaillir. L’odeur de pourriture lui enveloppa le cerveau. Il avança cependant pour retrouver la jeune femme. Il découvrit alors une scène hallucinante, une chose qui paraîtrait une fable si les médecins républicains n’en avaient fait eux-mêmes la
Weitere Kostenlose Bücher