Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
Vom Netzwerk:
leur fureur… Beaucoup d’ailleurs les soutiennent.
    Favier réfléchit un instant.
    — Il va falloir que vous partiez. La citoyenne Verdier, dont le mari fait partie de la bande des Marat, vous a repéré. Si cette vipère ne vous voit pas sortir de chez moi, ou si vous quittez les lieux à une heure indue, elle donnera l’alerte au comité révolutionnaire.
    Il marqua une nouvelle pause.
    — Je vous conduirai chez mon oncle, un homme sûr. Il habite non loin d’ici, près du Calvaire. Sortez le premier et allez m’attendre à l’angle de l’ancien couvent. Il ne faut pas qu’on nous surprenne ensemble.
    Antoine s’exécuta après avoir remercié le médecin. Il voyait bien que Julie Favier ne désavouait pas la générosité de son mari, mais qu’elle était naturellement inquiète pour lui. Il pensa avec douleur à ce pauvre Pannetier. Allait-il encore entraîner de braves gens dans le malheur ?
    Il se rendit au Calvaire. Tout lui paraissait menaçant : la vieille femme qui le détaillait en fermant ses volets, le marin qui le fixait de manière étrange en passant près de lui. Pourvu que son ami se dépêchât !
    Marc Favier voulait le rejoindre, mais la mère Verdier l’avait interpellé au bas de l’immeuble.
    — Tu l’as vu, citoyen, ce cultivateur qui te cherchait ?
    — Oui, ma brave Jeannine, il est parti.
    — C’est donc sa tante qu’était malade ?
    Elle prêchait sans doute le faux. La mère Verdier haïssait le médecin et sa femme, des gens heureux, des modérés qui vivaient dans l’aisance, autant d’insultes à sa remuante nullité. L’œil jacobin, populacier, ciblait le Nantais, l’encageait dans toute son inepte rondeur.
    — Non, il ne s’agissait pas de sa tante, répondit habilement Favier, mais de sa sœur ; un bien brave homme de se démener ainsi pour la soigner.
    Le médecin salua Jeannine Verdier et se rendit au rendez-vous avec l’impression désagréable de sentir la mégère rôder autour de lui. Il s’arrêta, se retourna, mais elle ne l’avait pas suivi. Il accéléra le pas et rejoignit enfin Antoine. Ils montèrent chez l’oncle de Favier. Le Toulousain y trouverait sans doute un asile pour la nuit.
     
    Il faut remonter quelques jours plus tôt pour comprendre ce qu’Amélie avait vécu depuis son arrestation en Vendée. Débusquée de son souterrain, enchaînée avec une centaine d’autres captifs, elle avait été conduite jusqu’à Nantes puis jetée au Bon Pasteur, un ancien couvent où croupissaient sept cents femmes dans des conditions effroyables. En l’espace de deux semaines, Amélie avait vu mourir des dizaines d’entre elles. Enfermée avec quarante survivantes dans une petite chambre, elle dépérissait à cause du manque de nourriture et de l’absence d’hygiène. Une maigre écuelle de riz faisait tout son ordinaire, car elle n’avait pas de quoi payer un supplément au concierge Fleurdepied ; ce dernier, une vraie canaille, rançonnait les prisonnières quand il ne les frappait pas. La petite vérole et le typhus faisaient des ravages. L’atmosphère était suffocante ; l’air infect dégageait des effluves nauséabonds, mélange de sueur, de vinaigre, d’odeur d’excrément et de cadavre.
    Amélie s’était liée d’amitié avec Victorine de Launay, une jeune religieuse de vingt-six ans, qui avait prodigué ses soins aux pauvres de la ville avant d’être enfermée. Victorine n’était pas de ces nonnes qui ne savent prononcer une phrase sans invoquer le nom du Seigneur. Malgré son sexe et son état, elle possédait une réelle liberté de pensée. Bien que fort pieuse, elle s’était davantage unie à Dieu par tradition familiale que par inclination pour cet amant universel ; mais elle essayait d’accepter son destin avec philosophie ; même la maladie qui commençait à la ronger donnait lieu de sa part à des légèretés pleines d’humour et d’ironie. Victorine était une femme de cœur. Les Jacobins laissèrent son cadavre se décomposer plusieurs jours sur sa paillasse couverte d’excréments. Pourtant, Amélie ne put facilement la quitter. Elle croyait lutter ainsi contre le désespoir ; en réalité, elle luttait déjà contre la démence, se répétant intérieurement les conversations échangées avec Victorine. Ah ! Si elle avait eu sa foi ou celle d’une marquise de Bonchamps… mais elle ne l’avait plus, ou peut-être ne l’avait-elle jamais eue.
    Au milieu de cette désolation,

Weitere Kostenlose Bücher