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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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qu’elle aurait pu combler. Dans quelques instants, sa tête roulerait dans le panier, son corps serait jeté dans la fosse commune, puis brûlé à la chaux vive. Il ne pouvait rien pour elle. Il détourna le regard et poursuivit sa quête.
    Un aubergiste finit par lui indiquer le domicile de Marc Favier. Il habitait avec son épouse et ses deux fils à l’angle des rues Regulus et Bouchardon, non loin des quais de l’Erdre. Chaque jour, le médecin marchait jusqu’à la place Égalité, descendait les rues Crébillon et Voltaire pour atteindre l’hôpital du Sanitat, dans la partie ouest de Nantes.
    Une grosse femme s’appuyait contre le mur de l’immeuble. Antoine ne pouvait le savoir, mais son mari était l’un des « Marat 1  » qui semaient la terreur dans la ville sous la houlette du représentant de la Convention, Jean-Baptiste Carrier. La surveillance et la dénonciation étaient les deux grands plaisirs de cette épicière aux allures de maquerelle.
    — Où vas-tu donc comme ça ? demanda-t-elle à Antoine.
    — Je voulions voir le docteur Favier, citoyenne ; c’est pour ma sœur qu’est malade.
    — Saquergué ! T’as d’l’argent toi, mon bougre ?
    — Un peu, j’avions bien vendu ma marchandise ; je ferions tout pour ma sœur.
    — Bon, ça ira, suis moi !
    Ils montèrent au troisième étage.
    — Citoyenne Favier ! cria la drôlesse.
    La porte s’ouvrit. Une jeune femme à la mine avenante, mais sans charme, apparut sur le seuil.
    — Y a là un homme qui veut voir ton mari.
    — Il est à l’hôpital.
    — T’as entendu, éructa la grosse femme sans ménagement, allez fiche donc le camp !
    — Je t’en supplie, permets-moi de l’attendre. J’avions fait une longue route. On m’a dit chez moi, comme ça, que seul le citoyen Favier pouvait sauver ma p’tite sœur.
    — Je suis désolée, je ne peux rien faire avant ce soir, répondit Mme Favier.
    Antoine essaya d’exprimer sa détresse à l’aide d’un regard discret. La jeune femme parut hésiter, mais comment pouvait-elle comprendre ? Elle se tourna vers la maquerelle.
    — Merci citoyenne Verdier, je vais m’occuper de cet homme.
    — Bon, comme tu voudras, dit la mégère avec dépit.
    Elle jeta au visiteur une dernière œillade pleine de défiance puis repartit monter la garde.
    Dès qu’elle se fut éloignée, Antoine prit les mains de Julie Favier. Cette dernière eut aussitôt un mouvement de recul.
    — N’ayez pas peur, Madame, je suis un ami de votre mari. J’ai besoin de son aide, mon épouse est enfermée à Nantes.
    — Vous aider ? Si Marc le faisait, il se mettrait lui-même en danger.
    — Je vous en supplie, peut-être vous a-t-il parlé de moi, Antoine Loisel, je vous ai fait parvenir une de ses lettres quand il était prisonnier des Blancs à Cholet.
    Le visage de Julie Favier se décrispa légèrement.
    — Loisel… Oui, mon mari m’a souvent parlé de vous. Il s’inquiétait pour votre sort, quand il a vu ce qui arrivait aux…
    Elle s’interrompit, à la fois par délicatesse et par lâcheté. Certains mots lui faisaient si peur qu’elle peinait à les prononcer : viol, massacre, guillotine, bourreau… Les taire, c’était en partie les nier et préserver ainsi la fiction d’un monde acceptable.
    — Installez-vous, je vous en prie, reprit-elle. Vous serez ici en sûreté, du moins pour la journée. Je ne vous conseille pas d’aller jusqu’à l’hôpital, ce serait trop risqué.
    Antoine acquiesça et attendit le retour de Favier.
     
    Le soir, quand ce dernier revint du Sanitat, il fut surpris de trouver un étranger chez lui. Ce n’était plus l’heure des visites, et d’ailleurs, il n’en accordait pas le lundi. Son visage se détendit soudain.
    — Antoine ! C’est vous ?
    — Oui, Marc, je suis venu me jeter à vos pieds pour que vous m’aidiez à sauver ma femme.
    — Où est-elle ?
    — Je l’ignore, sans doute dans l’une des prisons de la ville.
    L’expression de Favier se rembrunit.
    — Qu’y a-t-il ? Est-ce donc si terrible ?
    Le médecin évita de répondre.
    — Je vais la chercher dès ce soir, je vous le promets.
    — Je savais que je pouvais compter sur vous…
    — Mais, ajouta aussitôt le Nantais, je n’ai pas le pouvoir de la faire libérer. Nous sommes gouvernés ici par des assassins qui tuent des milliers de femmes et d’enfants tout en se proclamant les amis de l’humanité. Personne n’est à l’abri de

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