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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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relation écrite. Devant lui, gisait une femme morte en couches avec son bébé à moitié sorti de son sexe. La mère et l’enfant, qui étaient déjà couleur noire violâtre, avaient été abandonnés là et se putréfiaient au milieu des survivants. Il se crut atteint de démence. Son esprit refusait de croire ce qu’il voyait ; la scène d’horreur remettait en cause, non seulement ses convictions les plus profondes, mais sa raison elle-même. Des prétendus « amis de l’humanité » avaient rendu possible de telles atrocités. Il ne put s’empêcher de vomir jusqu’à cracher un mince filet de bile.
    Soudain, la répulsion se mêla de colère. Il sortit avec ses aides, oubliant Amélie sous le coup de la fureur. Il alla voir son ami Laennec, mais ce dernier lui affirma que ses propres plaintes restaient lettre morte. Favier prit alors son courage à deux mains pour affronter le monstre, le député de la République française, le conventionnel Jean-Baptiste Carrier.
    Il entra en frissonnant dans l’hôtel de La Villetreux, à la Petite Hollande. Le représentant en mission le fit attendre deux heures avant de le recevoir. Puis il apparut enfin, maigre, serré dans sa houppelande de fourrure à haut col, les cheveux noirs hirsutes, avec des anneaux d’or aux oreilles qui lui donnaient l’air d’un flibustier.
    — Eh bien, que veux-tu donc Favier ?
    — Je viens de l’Entrepôt, citoyen représentant, j’y ai vu l’état effroyable où sont abandonnés les prisonniers. Même les plus féroces des sauvages ne feraient pas subir un tel sort à leurs ennemis !
    Carrier entra aussitôt dans une de ces colères éruptives dont il était coutumier.
    — Que crois-tu donc, foutre ! cria-t-il en menaçant Favier de son sabre. Que je ne fais pas tout mon possible pour lutter contre la contagion apportée par ces brigands ? Les prisons en sont pleines, et ces jean-foutre ne débarrassent pas assez vite la terre sainte de la liberté qu’ils ont souillée de leur présence. Il m’en vient encore de partout chaque jour. Tu veux peut-être que je les fasse mettre aux Bouffay ou aux Sainte-Claire pour que ces scélérats infectent toute la ville !
    — Mais l’humanité…
    — L’humanité ! Foutre ! tu ne vas pas m’en conter, à moi, dont c’est l’unique religion avec la sainte Égalité ! Il est facile pour vous, les médecins, de se lamenter sur le sort des aristocrates, mais que proposes-tu ?
    — Un transfert aux magasins de Salorges, des inspections régulières, l’enlèvement des cadavres, une nourriture décente, de l’eau et de la paille fraîche, la libération des enfants…
    — Ah ! Traître ! bougre de révolutionnaire à l’eau douce ! Tu veux donc leur donner le pain de la liberté quand les braves Nantais manquent du nécessaire !
    — Je vais en référer à la Convention.
    — Écris même au Comité de salut public si tu veux, tu es libre ; tu penses qu’ils ne sont pas au courant de la situation ? J’envoie régulièrement un rapport à mes collègues et ils m’approuvent.
    Carrier se tut un instant. Ses colères s’apaisaient aussi vite qu’elles éclataient. Si on avait le courage de lui tenir tête, il était possible de l’influencer.
    — Allons, ne fais point la bête, citoyen. Dans peu de temps, ce foutu Entrepôt sera vidé de ses occupants.
    Favier comprit trop bien la manière dont Carrier comptait assainir les lieux. Il s’apprêtait à sortir lorsqu’il se souvint d’Amélie.
    — Citoyen représentant, il y a là-bas la femme d’un ami, une bonne républicaine, emprisonnée par erreur avec les brigands.
    — Ah oui ? Comment s’appelle-t-elle ?
    — Amélie Loisel.
    — Bon, je te fais un laissez-passer pour que tu puisses la visiter, mais n’abuse pas de ma bonté. Je me suis toujours demandé si tu n’étais pas un de ces modérantistes qui assassinent la Révolution avec leur pitié criminelle. Quant à cette prétendue républicaine, je ne signerai rien du tout. Prends toi-même la responsabilité de retarder son exécution et de la transférer ailleurs si, bien sûr, elle porte en elle le fruit d’un brigand. Il est trop tôt pour décider de sa libération…
    Carrier ricanait sous cape ; il savait pertinemment qu’un arrêté du comité révolutionnaire considérait désormais comme suspects tous ceux qui demanderaient la libération d’un parent ou d’un allié. Favier allait donc se jeter dans un

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