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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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de visiter notre capitale, demanda le négociant d’un ton alerte.
    — Dès mon arrivée, cette ville m’a subjugué… Il y a tant de monuments à découvrir que je ne sais par où commencer… Pour un peintre, le Louvre me semble le plus indiqué…
    — Je vous y ferai conduire dès demain matin. En attendant, nous allons souper. Vous pourrez ensuite rejoindre votre chambre, rue Mauconseil. J’ai cru qu’un jeune homme de votre âge préférerait se gouverner lui-même plutôt que d’être chargé d’une famille. Manon s’occupera de votre service.
    — Je vous obéirai, Monsieur, non pas pour fuir une compagnie qui m’est déjà agréable, mais pour ne pas contrarier vos intentions…
    — Comme vous parlez, Antoine ! intervint Mme d’Anville, je gage que vous ferez bientôt bonne figure dans le monde.
    Le jeune homme se crispa légèrement. Le trait était sans doute ironique et cette femme désirait peut-être le mettre en garde. Éléonore le dévisageait. Antoine ne comprenait pas la raison de son attitude et n’expliquait pas davantage son malaise.
    Les convives passèrent dans la salle à manger où Manon leur servit de la soupe, du pain bis et quelques tranches de gigot, le tout arrosé de vin de Bourgogne. Antoine répondit au sourire un peu forcé de son hôte ; il baissa les yeux, les releva et surprit, une fois encore, le regard appuyé d’Éléonore.
    — Mon père m’a dit que vous vendiez des draperies dans plusieurs endroits de Paris, demanda-t-il, en se tournant résolument vers Étienne d’Anville.
    — Un de mes garçons tient en effet une boutique rue de l’Arbre-Sec. J’emploie aussi une veuve et un apprenti à Versailles, sous mon enseigne, Au Petit Caprice … Je vends au détail et suis grossiste pour différents négociants.
    — Les affaires sont-elles bonnes ?
    — Les temps sont durs, mon jeune ami, trop de créances impayées, trop de concurrence déloyale ! Voyez, aujourd’hui, le moindre crieur de loterie se mue en mercerot !… À Versailles, des fripiers juifs allemands s’acoquinent avec les valets du château où ces gueux friponnent le linge. On voit même des perruquiers usurper les privilèges de la corporation… Quant aux porte-balles, ils ont tôt fait de vendre des articles de contrebande sur leurs hayons… Mais ne croyez pas que je peste contre ces pauvres diables. La misère, je le sais, frappe toutes les provinces. En Normandie, dans les Flandres, nos tisserands sont à l’aumône. D’ailleurs, les entrepreneurs ne les emploient plus que par charité… Et puis je crois qu’il faut tourner les règles quand le sort de l’humanité est en jeu… Connaissez-vous un marchand, même riche à millions, qui ne se plaigne de son sort ?
    — Vous êtes généreux…
    — Non, j’aime la liberté ! Mais quel homme serais-je si, possédant le superflu, j’accablais celui qui a faim, celui qui cherche de l’emploi pour nourrir sa famille ?
    — Je comprends, répondit sobrement le Toulousain par crainte de proférer une balourdise… Quel type d’étoffes vendez-vous ?
    — Les articles en vogue sont les pékins, les moires et les taffetas d’Italie. Je vends un peu de tout en vérité, des cretonnes de Lisieux, des toiles de Laval ou de Vimoutiers, du drap de Berry pour les soldats et les laquais, mais surtout des toiles peintes ou imprimées pour les dames. Vous savez à quel point les indiennes sont à la mode depuis que les femmes de la Cour s’en sont entichées. Il n’y a plus aujourd’hui une bourgeoise qui ne veuille en porter ou en recouvrir son mobilier. Le roi a bien essayé de les interdire, mais, le goût des femmes a force de loi. Ah ! Il serait plus facile à Sa Majesté d’emporter une bataille que de faire plier un régiment de Parisiennes. Je dois suivre la mode, mon jeune ami, ou plutôt, la devancer. Il faut toujours satisfaire la clientèle par la nouveauté des dessins et l’éclat des coloris. Mais je crois que vous en savez vous-même beaucoup sur ce chapitre.
    D’Anville s’interrompit brusquement pour fouiller un coffre qui se trouvait à sa droite.
    — Tenez, fermez les yeux un instant ; palpez-moi cette belle étoffe et dites-moi donc ce que c’est !
    Antoine s’exécuta, s’amusant même du défi.
    — Alors ?
    — Je dirais, à l’aveugle, qu’il s’agit d’une velouvette, d’une mignonette ou d’un calancas que vous faites venir… voyons voir, d’Ypres ou de Gand ?… non,

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