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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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non… Attendez, plutôt de Neufchâtel ou de Saint-Gall…
    — De Genève, vous brûliez ! Pardieu ! C’est de la diablerie, s’esclaffa d’Anville.
    — Je suppose que votre épouse vous conseille pour le choix des indiennes.
    — Elle préfère le voisinage des livres…
    Antoine considéra Éléonore avec curiosité. Il attendait une confirmation de sa part, mais elle se contenta de baisser les yeux.
    — Étienne, tu ennuies notre invité avec tes histoires de boutique, dit-elle d’une voix douce…
    — Est-ce que je vous ennuie tant, mon ami ?
    — Non, non pas du tout, répondit le peintre en rougissant.
    — Éléonore a raison, ne parlons plus d’affaires. Je vois que vous êtes fatigué. Je vais plutôt vous accompagner dans votre chambre.
    Le jeune homme n’insista pas. Il était en effet épuisé. Il observa encore un instant le visage de ses hôtes. Le comportement d’Éléonore l’intriguait ; il n’appréciait pas cette façon de sonder les pensées et de réclamer, silencieusement, une forme de docilité. Étienne d’Anville avait une attitude tout aussi étrange. Il soutenait sa femme du regard puis s’effaçait, se limitant à mener la conversation. Il la considérait souvent à la dérobée, amoureusement, mais avec une pointe de compassion. C’est dans ces moments-là que la gaieté du négociant paraissait un peu surfaite.
     
    Les deux hommes marchaient dans la rue ; d’Anville avait insisté pour congédier son valet et porter lui-même le flambeau.
    — Suivez-moi, dit-il, et ne me quittez pas d’une semelle, si vous ne voulez pas arriver tout crotté.
    Antoine jeta un coup d’œil à une lanterne dont la flamme, vacillante, était sur le point d’expirer. Devant une porte cochère, le négociant tendit le luminaire à son hôte, le temps de sortir une grosse clé de sa poche. Le Toulousain en profita pour examiner la mine de son logeur. Entre les ombres et les lueurs qui rendaient son visage mobile, il crut discerner une expression de tristesse. D’Anville lui montra alors sa chambre, au troisième étage de l’immeuble, lui remit la clé et le salua.
    1 - Voitures lourdes et massives dans lesquelles s’entassaient un grand nombre de passagers.

IV
    Malgré la fatigue, Antoine eut du mal à s’endormir. La nouveauté le rendait fébrile et il n’était pas habitué aux bruits nocturnes de Paris. À onze heures, il y avait ici autant de vacarme que sur la place du Capitole en plein midi. Jouissant de la fraîcheur du soir, il s’accouda sur la balustrade pour observer les passants. Les gens de condition s’étaient attardés après le spectacle et rejoignaient maintenant Versailles ou les hôtels de la rive droite. Les laquais s’agrippaient maladroitement d’une main au cul des carrosses et portaient de l’autre une torche d’où filait une pluie d’étincelles. En les voyant fixés aux voitures comme de vulgaires lanternes, le jeune homme fut partagé entre la révolte et l’amusement. Vers Saint-Eustache, un groupe de porte-falots raccompagnait des bourgeois à domicile et s’égaillait dans la nuit comme une nuée de lucioles. Un peu plus loin encore, des charretiers se dirigeaient vers la halle aux herbes avec une lenteur qui exprimait la misère et la résignation.
    Antoine éprouva un sentiment de bien-être. Tout ce monde d’ombres remuantes devenait en quelque sorte sa propriété. À partir de cet instant, les hommes et les choses seraient imprégnés de ses désirs. Il s’inventa une maîtresse, des actions glorieuses et quelques œuvres éblouissantes, échafaudant ainsi mille fables avec l’illusion de manœuvrer son destin. Puis, terrassé par l’excitation, il s’endormit.
     
    Des coups frappés sur la porte l’éveillèrent au matin. Il ne savait plus où il était ; il balbutia machinalement : « Entrez ! » Manon apparut sur le seuil, le teint clair, les yeux débordants de malice.
    — Monsieur, Monsieur ! Un valet vous attend pour vous conduire en ville.
    — Remercie ton maître, mais dis-lui bien que je n’ai besoin de personne.
    — Comme vous voudrez… Méfiez-vous cependant des tire-laine, ils pullulent dans les rues.
    — Ne t’inquiète pas, je saurai me garder de ces coquins-là.
    Il sortit et commença à musarder. Avait-il d’ailleurs besoin d’un chaperon pour flairer la Seine ? Le fleuve et ses odeurs lui serviraient de boussole ; il suffirait de le suivre pour se retrouver au Louvre. Il se

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