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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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agréable, une oisiveté savante qui s’organisait avec minutie.
    Une fois lassé de ses flâneries, il relut la lettre d’introduction qu’un ami de son père lui avait remise. Elle était destinée à Hector Desprez, artiste peintre, logé au-dessus de la galerie d’Apollon, par la grâce du roi. L’auteur du billet, une sorte de bourgeois gentilhomme, s’était fait représenter un jour par Desprez, tout chamarré d’or, de soie et de brocart, comme un grand seigneur en costume d’apparat. La toile lui avait coûté une fortune et le marchand s’imaginait, pour cette raison, que le peintre guiderait Antoine dans l’exercice de son art. D’une nature indépendante, parfois même sauvage, le Toulousain se serait pourtant contenté d’observer le maître. Mais, pour intégrer l’Académie, il devait prouver son talent et courtiser les membres du cénacle.
    C’était la première fois qu’il visitait un palais royal ; il en fut ému. La splendeur et la taille du monument l’impressionnèrent ; tournant le dos à Saint-Germain-l’Auxerrois, il piétina un moment face aux douves. Un Suisse le conduisit jusqu’à la galerie d’Apollon et lui demanda d’attendre. Il en ressortit accompagné d’un jeune homme à la mine altière. Le bourgeois – sans doute un artiste – leva son nez pointu comme pour enrober ses questions d’un soupçon de vanité.
    — À qui ai-je l’honneur ?
    — Antoine Loisel. Je suis peintre et viens de Toulouse, muni d’une lettre d’introduction pour maître Desprez.
    — Vous voulez donc voir le professeur, répéta l’homme inutilement tout en arborant une moue dubitative… C’est qu’il est très occupé avec ses élèves… Je suis son assistant, Jean-Baptiste Moreau.
    D’un geste timide, Antoine tendit la lettre qu’il tenait froissée dans sa poche. Le cerbère la lut longuement, jetant parfois des regards un peu soupçonneux sur le visiteur. Il se demandait apparemment s’il fallait l’accueillir ou le chasser. Le Toulousain ne comprenait pas pourquoi on lui faisait tant de chicanes. Bigre ! Il était plus difficile d’entrer ici que dans les appartements privés de la reine.
    — Bien accompagnez-moi, je vais vous faire visiter la galerie et les salles d’études, en attendant que le maître termine sa leçon.
    L’assistant avait beaucoup d’affectation dans ses manières ; il était par ailleurs visible, à la hauteur excessive de ses talons, qu’il souffrait de sa petite taille. Il compensait cette infériorité par une élégance très étudiée dont aucun détail n’échappa à l’œil exercé d’Antoine. Moreau était vêtu d’un habit de drap noir, cannelé par deux petites raies lisses et orné de superbes boutons d’acier dont on avait taillé les aspérités en forme de croix. Il portait un gilet et une culotte de casimir jaune, des bas de soie blancs, une belle cravate, bouffant au-dessus du jabot, bien plissé et serti d’une épingle à diamant qui l’obligeait à porter la tête haute et lui donnait un air de suffisance. Sa perruque était large, à grosses boucles, légèrement aplatie sur le toupet.
    Il se détendit progressivement, lançant à Antoine un sourire qui se voulait complice.
    — Vous apprenez donc la peinture… vous souhaitez, j’imagine, devenir membre de l’Académie ?
    — Ce serait pour moi un grand honneur.
    — Connaissez-vous l’antique ?
    — J’ai fait le voyage d’Italie, l’année dernière.
    Moreau fut désagréablement surpris par cette réponse. Antoine n’était pas le novice, l’ingénu de province qu’il eût facilement dominé du haut de sa position et de ses certitudes académiques.
    — Ah ! Hem ! Parfait, parfait… Mais entrons plutôt dans la galerie d’Apollon. Elle vaut bien quelques beautés romaines, n’est-ce pas ? Savez-vous qu’elle a servi de modèle à la grande galerie de Versailles ?
    Antoine resta sans voix devant la beauté de la salle. Il déambula maladroitement, la tête en l’air, afin d’en admirer le plafond. Il fut frappé par le modelé des stucs, la splendeur des sculptures, la finesse des boiseries peintes et des tapisseries. Il observa le travail de Le Brun, puis les saisons représentées par des académiciens contemporains : l’Automne de Taraval, l’Été de Durameau, l’Hiver de Lagrenée, le Printemps de Callet… Le visiteur s’interrogea sur chaque détail. Comment avait-on marouflé les toiles, sculpté les Termes ou les

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