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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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dirigea vers le Grand Châtelet par la rue Saint-Denis, négligeant, cette fois encore, de s’arrêter aux Halles. Il voulait percer le premier cœur de Paris : la cité, Notre-Dame, le Palais. On verrait ensuite. Il était jeune ! Le sang lui fouettait les tempes et il n’avait que faire de la discipline. De toute manière, il n’entamerait aucune visite avant de rendre hommage au bon roi Henri dont la statue embellissait le Pont-Neuf. Il se l’était juré depuis Toulouse, comme un enfant. Il y avait dans cette promesse une forme de défi mâtiné de superstition.
    Il n’avait jamais vu un spectacle pareil. La foule était si dense qu’il pouvait à peine la pénétrer. Massés autour des échoppes ou appuyés contre les parapets, des groupes de portefaix, des bateleurs, de décrotteurs, dormaient, se querellaient ou riaient en attendant la besogne. Sur le quai des Orfèvres, à deux pas des étals, près des marchands de saison, les élégantes visitaient les joailliers, flanquées de leur caniche ou de leur doguin, tandis que, sur le quai des Morfondus, les petits-maîtres 1 s’engouffraient dans les ateliers d’horlogerie et d’optique.
    Antoine se serra contre le bas-côté afin d’éviter les voitures qui traversaient le pont à vive allure. Il s’arrêta devant la Samaritaine puis se dirigea avec beaucoup d’émotion vers le centre où s’élevait la statue d’Henri IV. Tournant le dos à la place Dauphine, juché sur cette île à la forme lancéolée, il eut l’impression d’être arrimé à la proue d’un navire. Le monarque et son cheval étaient cernés par les marchandes de figues, d’oranges et de melons. Mis à part quelques mendiants, ces drôlesses aux fortes gueules, qu’on appelait les dames d’Henri IV, ne toléraient aucune concurrence. Elles étaient les saintes patronnes du Béarnais, une sorte de garde rapprochée en haillons. « Voilà le roi au milieu de ses peuples, sans l’intermédiaire des ministres et de la noblesse », pensa Antoine. Il aimait cette fusion mystique entre le souverain et ses sujets ; dans cette osmose-là résidait tout son amour de la monarchie. Et celui-ci tenait moins à la fonction qu’au personnage légendaire qui l’avait jadis incarnée. Chef de guerre et roi de paix, Henri IV avait promulgué l’édit de tolérance, permettant aux Loisel de jouir d’une liberté très relative. Le jeune homme reconnut la forme régulière que le Bourbon imprimait à sa barbe et la coquetterie avec laquelle il faisait tailler ses moustaches en éventail. Malgré la bousculade permanente, il admira longuement le visage de marbre noir et se remémora avec nostalgie les vers que Pierre Goudelin, poète de Toulouse, avait consacré A l’hurouso memorio d’Henric le gran, rey inbincible de franço & de Nabarro  : il chercha du regard s’il n’y avait pas dans les parages quelque Gascon 2 avec lequel il pût chanter à tue-tête comme au pays, lorsqu’il était joyeux ou complètement ivre. Oui, pensa-t-il, souriant et marmottant tel un fanatique, ce grand roi possédait tout.
    La Iustecio, la Fe, la Forço, la Bountat,
    Et tout so que le Cél douno per raretat 3
    — Tu parles tout seul, mon bonhomme, s’esclaffa une vieille fruitière en arborant gaiement ses chicots !
    — Je chante à la mémoire de notre bon et grand roi Henri, ma commère, rétorqua Antoine sans se décontenancer. Ventre-saint-gris, c’est un sacré grand-père que nous avions là !
    Il avait répondu de son plus bel accent, avec une fierté toute méridionale. Cette gouaille occitane plut à la Parisienne et la vieille amazone baissa subitement la garde.
    Son pèlerinage achevé, le Toulousain se divertit un moment en regardant le jeu des saltimbanques ou les cabrioles des paillasses dont un compère venait bastonner en hurlant l’habit rembourré. Il rit de bon cœur avec d’autres badauds, puis rebroussa chemin vers la rive droite et le quai des Morfondus.
    Il décida de se rendre au Louvre. La jeunesse s’adapte rapidement ; en moins d’une matinée, il avait appris à se faufiler dans la foule, tel un Parisien de souche, se jetant adroitement derrière les bornes pour éviter les roues des carrosses ou les sabots des chevaux. Il se retrouva bientôt devant la porte du palais dont il voulut admirer la célèbre colonnade. Le calme relatif de la place et la douceur du climat l’engagèrent à la rêverie. À Paris, perdre son temps était une occupation

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