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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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après avoir couru la campagne lui semblait une entreprise éprouvante. Il héla donc un cocher de fiacre, malgré la mine patibulaire que lui présenta le drôle enguenillé.
    — C’est trente sous la course, mon bon Monsieur, deux livres si vous voulez sortir des vieux remparts.
    — Conduisez-moi rue aux Ours !
    Le cocher s’exécuta en grimaçant, après avoir rangé les bagages sous une bâche. Antoine considéra brièvement la jaquette trouée de cet homme et sa mine d’ivrogne impénitent, puis s’affala sur le siège mité du véhicule. Le fiacre, tiré par un cheval squelettique, était une sorte de cage enténébrée dans laquelle régnait une odeur infecte, mais le visiteur était trop impatient pour s’en offusquer. Le cocher débuta la course, zigzaguant laborieusement entre les carrosses, les charrettes à bras et les vinaigrettes, criant « gare ! » à tout propos, menaçant même d’écraser les passants. L’équipage se déplaçait pourtant comme une limace et Antoine crut qu’il ne parviendrait jamais à destination.
    La place des Victoires se trouvait à deux pas de la rue aux Ours. Le cocher s’était bien gardé de le préciser. Tournant le dos à la statue équestre de Louis XIV, il se contenta d’emprunter la rue des Fossés-Montmartre, de passer Saint-Eustache, de contourner les Halles par la rue Tiquetonne, puis de longer l’ancienne comédie italienne, rue Mauconseil. Une fois arrivé, le voyageur demanda à une bouquetière de lui indiquer le logis du sieur d’Anville, marchand drapier, avant de s’engouffrer dans un immeuble de belle facture.
    Une jeune servante ouvrit la porte et dévora Antoine de ses yeux brillants.
    — Monsieur, Monsieur, répéta-t-elle d’une voix chargée d’excitation, c’est votre visiteur que voilà !
    — J’arrive, Manon, j’arrive, fais donc entrer Monsieur dans le petit salon, répondit un homme que l’on devinait surpris en plein travail.
    Antoine confia son tricorne, ses bagages et son manteau à la servante, puis alla s’asseoir sur un siège de velours cramoisi. Un toussotement le fit lever ; il aperçut Étienne d’Anville qui l’observait attentivement à l’entrée de la pièce.
    — Soyez le bienvenu, cher Antoine.
    Le Lyonnais était un homme de haute taille, plutôt corpulent ; il avait des cheveux blonds, très fins, mal peignés, d’où jaillissaient des oreilles rouges, un peu décollées. Ses manières, comme son costume, exprimaient la simplicité. À l’instar des bourgeois de son siècle, il vouait un culte à la République romaine et avait troqué l’habit de soie pour la culotte de drap. En ville, il portait la tenue noire de la basoche, une canne de noyer, ainsi qu’un feutre à l’anglaise, qui lui donnait l’allure d’un puritain. Il était malhabile et assez peu démonstratif. L’empressement avec lequel il voulut saluer Antoine le fit trébucher. D’un geste brusque, il se redressa, puis se jeta sur son hôte afin de lui administrer une vigoureuse accolade.
    — Vous serez, ici, l’égal de notre fils. J’ai tout prévu pour que vous vous sentiez à votre aise.
    — Vous me comblez…
    — N’ajoutez rien… Éléonore ! Viens donc accueillir notre hôte. Veuillez excuser ma femme, Antoine, elle met la dernière main au souper.
    La maîtresse de maison entra dans la pièce. Elle avait de grands yeux noirs qui rehaussaient la pâleur de son visage et lui donnaient l’air taciturne. Elle examina Antoine, comme si elle cherchait à reconnaître un parent éloigné ou un proche dont elle était sans nouvelles. Puis, sortant de sa stupeur, elle se montra prévenante, prit affectueusement le jeune homme par le bras et l’invita à s’asseoir.
    — Je sais que votre père est discret sur ces matières, dit Étienne d’Anville, tandis que Manon servait le café, mais j’ai contracté une dette d’honneur envers lui. Il m’a sorti autrefois d’une très mauvaise affaire. Pour tout dire, j’ai rarement connu un homme aussi désintéressé que lui.
    — Cette nature lui joue pourtant de mauvais tours, ajouta le peintre. Je manque d’expérience, sans doute, mais j’estime que la générosité est parfois une faiblesse.
    — Probablement… elle nous ménage aussi quelques amis fidèles.
    D’Anville parut hésitant. Le jeune homme comprit qu’il s’interrogeait sur le veuvage de son père, mais que par délicatesse, il préférait se taire.
    — J’imagine que vous brûlez

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