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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières
Autoren: Laurent Dingli
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duquel le chevalier d’Éon eût semblé un novice de collège. Cet individu m’a contraint à me déguiser moi-même, malgré tout le respect que j’ai pour cette sainte robe. Mais ce fut le seul moyen de lui échapper. Vous connaissez leurs terribles méthodes. Ceux qui n’ont pas hésité à fusiller le duc d’Enghien dans un fossé de Vincennes, ne reculent devant rien et me réservent un sort funeste.
    — J’honore votre courage, Monsieur, mais je ne comprends pas très bien en quoi ma femme et moi pouvons vous être utiles.
    — Tout d’abord, pourriez-vous me cacher quelques jours afin que j’échappe aux recherches de mes ennemis ? Ne craignez rien, je ne vous mettrai pas en danger…
    — Nous ne redoutons pas la mort, Monsieur, surtout si nous la recevons en servant les princes légitimes de France et d’Espagne. Nous avons déjà…
    Le couple d’aristocrates baissa en même temps la tête, sous le poids de l’accablement, tandis que Voisard feignait l’étonnement.
    — Dites-lui, mon ami, fit alors la comtesse.
    — Notre fils unique a été fusillé à Auray.
    — Mon Dieu ! Les scélérats ! Je l’ignorais… Je ne voudrais pas raviver un tel souvenir…
    — Non, au contraire, cela nous fait du bien de parler de notre enfant, fit Mme de Saint-Amant d’une voix cassée.
    — Il a eu l’honneur de mourir au service de son roi. Nous ne sommes donc pas à plaindre, ajouta froidement le gentilhomme.
    Ces deux dernières répliques confirmaient ce que Enrique avait laissé entendre à propos des deux époux et de leur caractère respectif.
    Tout en notant le fait, Michel Voisard se composa une mine profondément éplorée ; il parvint même à se rougir les yeux.
    — Ah ! Mes amis ! Le seul nom de Quiberon est pour moi une torture. J’y ai vécu les plus cruels tourments de ma vie.
    — Comment ? Vous y étiez, vicomte ?
    — Oui, Madame, mais pardonnez-moi, bien que dix-sept années soient passées depuis cette malheureuse expédition, j’ai encore du mal à en parler. J’ai vu un trop grand nombre de mes amis y laisser la vie.
    Mme de Saint-Amant ne put retenir ses larmes.
    — Alors, vous avez peut-être rencontré notre fils Charles, fit-elle d’une voix presque suppliante.
    — Je le connaissais surtout de réputation, Madame, souligna habilement le bagnard. On m’a toujours dit le plus grand bien de lui.
    Et, faisant semblant de réfléchir à haute voix, il ajouta :
    — Voyons que je me souvienne, sur quel navire était-il embarqué ?
    — Le HMS Pomone , le navire amiral aux ordres du commodore Warren, fit Saint-Amant, impassible.
    — Je me trouvais quant à moi sur le Thunderer , commandé par le capitaine Bertie, précisa Voisard.
    Saint-Amant le fixa comme s’il voulait l’éprouver.
    — C’était une frégate, je crois.
    — Non, Monsieur, un navire de ligne de troisième rang.
    — Et votre régiment ?
    — Le Loyal-Émigrant, sous les ordres de M. d’Haize. On m’a fait l’honneur de m’y accepter pour ma participation à la Grande Guerre de Vendée aux côtés de M. de Bonchamps. Vous savez que ce régiment accueillait beaucoup de vétérans et comme j’avais fait la guerre d’Amérique…
    Saint-Amant parut satisfait. Il ne pouvait savoir que Voisard était doué d’une mémoire et d’un sens du détail prodigieux. Il ignorait surtout qu’à Londres, l’imposteur avait eu tout le loisir de se renseigner sur l’expédition royaliste. Il en connaissait les moindres détails, depuis le nombre de navires jusqu’aux noms des capitaines en passant par celui des divers régiments qui la composaient. Ce diable d’homme avait l’habitude de préparer longtemps à l’avance les impostures qu’il conservait pour ainsi dire en réserve, leur empruntant de temps à autre quelques détails pour parfaire certains de ses personnages. Si ce n’était le crime, Voisard ressemblait à un dramaturge de génie qui parviendrait à construire la plus réelle des fictions.
    — Mon ami, fit alors Mme de Saint-Amant en se tournant vers son mari, vous finirez par embarrasser notre hôte avec toutes vos questions. On dirait que vous doutez de sa parole.
    Elle s’essuya discrètement les yeux.
    Les sentiments, voilà la grande faiblesse, pensa Voisard. Il se souvint du jour où il avait fait pleurer Éléonore d’Anville en évoquant la mort de son fils. Les gens qui avaient du cœur, les sensibles, étaient les plus faciles à tromper.
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