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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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L’émotion anesthésiait leur réflexion et ils ne songeaient plus alors à calculer, à se méfier ; ils étaient à sa merci.
    — Oh ! Ce n’est rien, Madame, fit Voisard en bonne chattemite. Monsieur le comte a tout à fait raison de m’éprouver ; et, s’il n’y eût songé, je lui aurais conseillé moi-même de le faire.
    — Et si vous étiez cet espion travesti dont vous nous avez parlé ? galéja le comte avec une pointe d’interrogation dans les prunelles. Vous pourriez paraître sous un déguisement et nous conter quelque fable ?
    — Henri ! s’exclama la comtesse, comment pouvez-vous ?
    Voisard n’était pas inquiet. La suspicion du comte était celle des imbéciles qui se donnent l’air incrédule uniquement pour paraître moins sots qu’ils ne sont.
    — Encore une fois, Madame, Monsieur le comte a raison d’être méfiant. Je suis prêt à l’instant à vous accompagner auprès des autorités britanniques pour que vous puissiez vérifier mon identité. J’ai l’honneur d’avoir été proche de lord Shaftesbury, de l’Amirauté. Vous retarderez seulement ma mission de quelques semaines… Les Anglais, qui sont partisans des monarchies constitutionnelles, risquent même d’entraver nos projets. Vous savez sans doute que Sa Majesté Louis XVIII est prête à faire des concessions au parlementarisme…
    À ce seul mot, Saint-Amant eut un frisson de dégoût.
    — … or Monseigneur le comte d’Artois son frère voudrait au contraire restaurer l’Ancien Régime dans toute sa perfection. Si je sers fidèlement le roi, si les Anglais demeurent bien entendu nos alliés, ce sont les idées du comte d’Artois que je crois les plus susceptibles de sauver la France. Mais je suis un homme d’honneur et je me mets sur-le-champ à votre disposition si vous souhaitez en référer à Londres.
    Saint-Amant parut très embarrassé.
    — Allons, allons, vicomte, je ne mettais pas en doute votre identité. J’ai au contraire le plus grand respect pour les hommes comme vous. J’ai voulu moi-même m’engager dans l’armée de Monsieur de Condé, mais mon âge et mes infirmités ne m’en ont pas laissé la liberté. J’espère ne pas vous avoir offensé. Notre hospitalité vous êtes toute acquise.
    — Merci pour votre confiance. Mais surtout, ne dites rien à personne, même à vos meilleurs amis.
    — Toutefois, rechigna Saint-Amant, certains d’entre eux servent la même cause que vous et ils savent tenir leur langue.
    — Je n’en doute pas, mais je vous ai dit que l’espion qui me poursuivait excellait dans le travestissement. S’immiscer dans l’entourage de vos proches serait pour lui un jeu d’enfant et, sans même le savoir, ils lui divulgueraient des secrets de la plus haute importance. Je précise aussi cela pour votre propre sécurité. Cet homme est très dangereux ; le poignard et le poison sont ses armes habituelles.
    — Monsieur, s’exclama la comtesse, vous finirez pas nous faire peur.
    — Je vous mets seulement en garde. Vous vouliez avoir une occasion de courir un risque pour notre cause. Je vous l’offre. Cela ne durera que trois ou quatre jours, le temps que j’attende mon relais pour Cadix. Après cela, je ne vous importunerai plus… Ah ! Encore une chose, pouvez-vous congédier vos gens, cela limiterait les risques d’indiscrétion.
    — Il me semble difficile de rester sans domestiques, Monsieur.
    — Eh bien, si vous l’acceptez, conservez seulement une cuisinière ou une lingère, et donnez congé aux autres pour la semaine. Vous trouverez un prétexte plausible.
    Mme de Saint-Amant s’adressa chaleureusement au visiteur.
    — Merci d’être venu, Monsieur, vous donnez à deux pauvres parents meurtris la possibilité d’être enfin utiles.
     
    Voisard occupa les trois jours suivants à interroger discrètement les deux émigrés sur leur passé, leurs habitudes, leurs amis. Il découvrit avec bonheur qu’ils n’avaient plus de famille directe, si ce n’était une nièce, orpheline vivant chez sa vieille tante à Paris. Il apprit encore que Saint-Amant comprenait fort bien l’espagnol, mais qu’il était trop complexé pour le parler. Dernier détail d’importance : le comte connaissait un ancien corregidor 1 qui avait repris du service depuis le départ des Français. Enfin, Voisard observa dans les moindres détails les manières, la démarche, la voix et le ton de Saint-Amant. Lorsqu’il était seul, il s’entraînait

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