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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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son apparence insolite, le désignaient tout particulièrement aux appétits de la canaille. Voici un oiseau bien dodu que je m’en vais plumer, pensa le rabatteur.
    — Jean-Pierre Carreau. Je suis le meilleur guide des environs ; je peux vous trouver un lit pour la nuit. Dame ! Ce n’est pas une mince affaire… Avez-vous une chambre ? Non, bien sûr ! Je l’aurais parié. Avec tous les députés des états généraux, qui logent actuellement en ville… Les Ambassadeurs refusent du monde, La Belle Image est remplie à craquer, quant à l’Hôtel du Juste, à l’enseigne de Louis XIII, il ne faut pas y songer… Et ce ne sont là que des étapes de luxe… Je puis donc vous assurer le gîte, contre la somme modique de 50 sols, sans compter le couvert, bien sûr. Le tout pour deux livres, vous faites une affaire. Je n’oserais vous proposer un abri qui ne soit conforme à votre condition. On voit bien que Monsieur n’est pas n’importe qui.
    Carreau se composa une physionomie ruisselante de sollicitude et de fraternité. À le voir, on eût dit quelque pêcheur d’âmes égarées.
    — Vous avez bien de la chance de tomber sur moi, Monsieur, avec tous les filous qui courent les rues.
    Antoine avait envie de bavarder et de se laisser guider dans un univers qui lui était totalement étranger. Il se radoucit un peu.
    — Je viens de Toulouse, annonça-t-il naïvement, comme si le sieur Carreau convoitait autre chose que sa bourse.
    — Ah ! Comme c’est intéressant… Nous avons ici plusieurs de vos compatriotes représentant les trois ordres…
    — Bon, j’accepte votre offre, coupa Antoine, il est déjà tard, et je n’ai pas le cœur à chercher une chambre ; je veux au moins admirer la façade du château ainsi que le parc et les jardins… mais seul.
    — Comme il vous plaira, Monsieur. Je vous attendrai devant les grilles, aussi immobile et fidèle qu’un garde suisse. À propos, comment faut-il vous appeler, Monseigneur le marquis ou… ?
    — Monsieur suffira.
    L’homme s’inclina puis s’effaça en marchant à reculons afin de laisser Antoine débuter sa promenade.
    La place d’Armes grouillait de monde. Une armée de cochers, de mendiants, de revendeurs et de portefaix occupait les lieux ; les uns se querellaient âprement pour accaparer un client, les autres devisaient pacifiquement sur les affaires du jour ou s’échinaient à transporter leurs marchandises. On distinguait, ici ou là, l’uniforme blanc des gardes-françaises, l’habit bleu des gardes du corps du roi et la veste rouge des Cent-Suisses. De temps à autre, des gens occupés aux Écuries princières ou royales traversaient la place en galopant : piqueurs, valets de pied, palefreniers et bourreliers, éperonniers, charrons, maréchaux et fourriers, apothicaires, hérauts d’armes, chevaucheurs et gardiens de sellerie… Tout ce monde se croisait, se bousculait, se haranguait dans l’effervescence et le désordre le plus total. Une multitude d’échoppes, de baraques et d’auvents était appendue sur les murs et jusque sur les grilles du château. On y vendait de tout à la criée. Des limonades aux fripes en passant par les brochures, les gazettes et les livres.
    Antoine pénétra dans la cour des Ministres. Il ne prêta aucune attention aux allégories qui flanquaient la porte du château, tant il était intimidé de se trouver au cœur même de la monarchie. Tout paraissait si imposant ; il devenait l’un des Lilliputiens de Swift. À quelques toises de là, respiraient le roi et la reine de France. Ici encore, avait vécu Louis XIV, le persécuteur de ses aïeux, le symbole même du despotisme. Le visiteur nourrissait pourtant une fascination inavouable pour ce souverain de gloire. Il traversa la cour royale, examina longuement le bâtiment de Mansart, puis déambula pendant une heure dans les jardins. La nuit allait tomber. Il fit alors quelques pas hésitants en direction des appartements, mais deux gardes suisses lui en interdirent le passage. L’un d’eux, un géant blond à la mine renfrognée, le repoussa même sans ménagement.
    — Pas de visites la nuit, seuls les habitués de la Cour peuvent entrer, beugla-t-il avec un fort accent germanique.
    — Puis-je voir au moins la Grande Galerie ?
    Le géant se contenta de hocher la tête en regardant Antoine comme un ver de terre.
    Ravalant sa colère, le Toulousain rebroussa chemin. Il se promettait de revenir, dès le lendemain, avec le

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