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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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semblait que sa coiffure ne serait jamais assez belle ni conforme au goût de la haute société.
    — Ne pourriez-vous pas crêper les cheveux, ici ou là, demanda-t-il.
    — Monsieur, le crêpé se pratique d’ordinaire sur les cheveux plus courts que les vôtres et avant même qu’ils ne soient poudrés. Avec vos grandes boucles, ce serait du plus mauvais effet.
    — Faites comme je vous dis, s’entêta Loisel, tant il craignait de ne pas être suffisamment original.
    Le perruquier obtempéra à contrecœur, songeant que si ce provincial voulait à tout prix être ridicule, il ne pouvait l’en empêcher, mais diable ! Voilà une bien mauvaise publicité pour son enseigne. Et le résultat fut en effet burlesque.
    — Mordious ! Je ressemble à un caniche !
    — Voulez-vous que je recommence.
    — Non, ne prenez pas cette peine, puisque je suis assuré que personne ne portera ce genre de coiffure.
    — Ah, ça, Monsieur, vous pouvez en être assuré, confirma le perruquier en se retenant de rire.
    Et c’est dans cet appareil qu’Antoine se rendit chez le fripier, car faute de temps, il ne pouvait être question d’un tailleur. Il en ressortit avec un costume de mauvais goût, dont les teintes étaient mal assorties et criardes. C’était pourtant un habit luxueux, de moire et de taffetas, doublé de raz-de-Saint-Cyr. Cette fois encore, le vendeur l’avait mis en garde, mais le jeune homme s’était obstiné. Antoine, artiste peintre et fils de drapier, lui qui connaissait si bien les étoffes et appréciait le chatoiement des couleurs, était devenu une sorte de rustaud amnésique tant sa volonté de paraître était alors irrépressible. Un étrange sentiment d’angoisse l’avait rendu à la fois aveugle et sourd. Il ne pensait qu’à Versailles, sans concevoir un instant que sa relation avec Éléonore, sa hantise de la décevoir et le complexe qu’il nourrissait à son égard avaient peut-être une part dans ce dérèglement.
    Lorsqu’il vit, sur le chemin, que certaines personnes se gaussaient de lui, il se sentit atrocement triste. Il avait souvent éprouvé ce sentiment, non pas celui du ridicule, mais l’impression de déployer une énergie surhumaine en pure perte, comme pour atteindre un idéal qu’il savait au fond de lui-même inaccessible. Antoine, jeune homme aux épaules massives, qui possédait la fière allure d’un hussard à pied, ressemblait ce jour-là, avec ses frisures et ses belles bouclettes, à quelque bergère de théâtre.

VI
    Il monta dans la première voiture de louage à destination de Versailles. Il ne fut pas incommodé par le trajet de quatre lieues, car il profita d’une halte pour visiter la manufacture de Sèvres. L’air de la campagne lui fit le plus grand bien ; il oublia un moment sa rencontre avec le professeur et l’aspect cocasse de son accoutrement ; ce n’était là, après tout, que des vétilles, d’ailleurs Éléonore ne l’avait pas encore surpris coiffé comme une demoiselle et fagoté comme un bouffon. Il soupa au grand air, vers les six heures, dans une auberge, avant de reprendre la route. Il traversa ainsi Chaville et Viroflay, s’arrêta à la barrière de Versailles, puis longea l’avenue de Paris. Le carrosse ralentit ; pointant le nez par la lucarne, Antoine vit une cohue de chaises et de fiacres qui barraient l’entrée du château. Il prit bien soin d’ajuster son tricorne pour ne pas chiffonner le toupet ni déranger les bouclettes que le perruquier lui avait si savamment façonnées.
    On se pressait sur la place. À peine eut-il descendu le marchepied, qu’un rabatteur, vêtu d’une jaquette sale et d’une camisole de ratine déchirée, vint le harceler. Comme il sentait le bouc à deux pas, le Toulousain dut le maintenir à distance en levant sa canne.
    — Vous voyez ici les Petites et les Grandes Écuries de Sa Majesté, expliqua l’homme tout d’une traite.
    — Je me débrouillerai bien tout s…
    — … et les bâtiments en forme de tente que vous apercevez là servent de casernes aux gardes-françaises…
    — Je vous dis que je n’ai besoin de personne.
    Une étincelle de jubilation traversa les yeux du vaurien. C’était le regard triomphal que porte le fauve sur sa proie. Bien que très léger, l’accent d’Antoine était suffisamment chantant pour trahir son origine méridionale. Les provinciaux étaient omniprésents à Versailles, mais la jeunesse du voyageur, son air candide ainsi que

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