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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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discrétion. Mais quel jeu pratiquait le couple ? Il trouva un prétexte pour prendre congé.
     
    Le lendemain, il se rendit au Louvre afin d’y présenter ses œuvres. Il dut attendre une bonne heure avant que Desprez ne daignât lui accorder un regard. Moreau se tenait près du professeur, comme une perruche ou un petit singe juché sur son épaule, à l’affût de ses plus infimes colères et guettant les moindres de ses désirs.
    — Eh bien, Monsieur Loisel, montrez-nous donc vos chefs-d’œuvre que nous apprenions quel genre d’artiste vous êtes. Allons, approchez, approchez…
    Antoine avait longuement étudié l’ordre à suivre afin de présenter son travail. Il s’était arrangé pour montrer les dessins les plus réussis en premier, tout en intercalant les sujets – animaux, portraits, scènes champêtres. Il y avait un peu de tout dans son carton, des bistres, des sanguines, des lavis, des esquisses exécutées à la pierre noire ou à la mine de plomb, mais aussi, rangées à part, quelques petites toiles d’huile qu’il avait soigneusement roulées.
    — M’oui… M’oui… Vous avez, il est vrai, un bon coup de patte et quelques dispositions, quoique certains défauts sautent immédiatement aux yeux de l’homme averti. Regardez Moreau, qu’en pensez-vous ?
    — En effet, vous avez raison, Monsieur, le talent est indéniable, mais les défauts, les pesanteurs le sont tout autant.
    — Et de quelles pesanteurs s’agit-il ? s’enquit le Toulousain en levant le menton avec insolence.
    — Je vous en prie, épargnez-nous vos gasconnades et bridez donc votre susceptibilité mal placée. Vous n’êtes point ici sous vos latitudes. Si vous ne tolérez pas les critiques, vous ne pourrez jamais apprendre.
    Antoine comprit qu’il avait été trop loin. Il se contraignit à prendre une expression plus soumise.
    — Veuillez pardonner ma conduite, je suis trop vif en effet. Je vous assure que j’ai une grande envie d’apprendre.
    — Bien, n’en parlons plus pour cette fois… Je vois que, pendant votre voyage d’Italie, vous avez copié de très belles statues grecques. Méditez cependant le bon mot qu’a eu l’un de nos professeurs : Il ne faut point chercher à imiter l’antique, l’ Apollon du Belvédère n’est qu’un navet ratissé…
    Loisel demeura sans voix. Il ne pouvait croire que le maître proférât sérieusement une telle ineptie. Encore une de ses provocations sans doute… Il se souvint des conseils d’Éléonore. Il fallait tenir. Il osa pourtant émettre une réserve.
    — Et pourtant David…
    — David ! David ! pesta aussitôt Desprez. Ce barbouilleur se prosterne aujourd’hui devant l’art grec et romain, mais avant de se rendre en Italie, il répétait constamment que l’antique ne le séduirait jamais, qu’il manquait d’action, qu’il ne remuait pas !
    La réaction excessive de Desprez était visiblement le fruit d’une rancœur personnelle. Moreau avait baissé les yeux, omettant pour une fois de soutenir son mentor ; celui-ci s’ébroua un peu avant de se calmer. Il scruta les créations d’Antoine, passant rapidement de l’une à l’autre, amorçant même une grimace en guise de sourire.
    — Je dois dire toutefois que nous avons là de très bonnes choses. Vous possédez beaucoup d’élégance et de finesse dans le trait. Vous avez soin d’imiter l’adresse que la nature emploie à cacher ses mécanismes. Vous évitez par ailleurs les couleurs aigres, mal rompues et le mélange de teintes ennemies. Les contours de vos peintures ne sont point bavochés ; on les distingue au contraire très nettement. Votre pinceau, il faut l’avouer, est amoureux, sa touche est grasse, délicate, suave et moelleuse… On remarque, au premier coup d’œil, que vous n’êtes point de ces jouvenceaux vaniteux qui s’inventent un talent et se présentent les bras chargés de leurs croûtes. Ceux-là ne feront jamais que barbouiller des enseignes à bière…
    Le Toulousain s’était redressé avec émotion et commençait même à sourire quand Desprez ajouta aussitôt de manière perfide.
    — … Je constate cependant que certains de vos sujets manquent de hauteur… Vous prenez trop souvent vos modèles parmi les gens du peuple en vous inspirant de scènes vulgaires. Il y a pourtant suffisamment de sujets nobles à étudier. Notez que je ne mets pas en cause la qualité picturale de votre travail. Mais on voit que vous avez une

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