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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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Polignac – la favorite de Marie-Antoinette – et du comte d’Artois, son frère. Ce ne sont là peut-être que de méchants bruits, mais vous connaissez son indécision. Et puis… quand un roi de France se laisse surprendre en train de ronfler, à Paris, alors qu’il préside son Parlement… Il ne songe qu’à courre le cerf et à ripailler… Nous, les élus du tiers, devons l’aider à rester ferme et à ne pas écouter le chant des sirènes aristocratiques…
    Les deux hommes hochèrent en même temps la tête comme deux vieux paysans qui viennent d’échanger des nouvelles sur la saison ou la santé de leur troupeau.
    — Où logez-vous ? demanda subitement Chabrier.
    — Près d’ici, à l’enseigne de La Veuve Coquard , un vrai bouge où m’a conduit une crapule affamée. J’y serai sans doute dévoré cette nuit par la vermine. Le ladre m’a joué en m’affirmant qu’il ne restait plus une place où coucher dans toute la ville.
    — Le chenapan ! Il y en a plus de deux cents à Versailles dont plusieurs ne sont pas encore occupées. Mais j’y songe, pourquoi ne viendrez-vous pas vous reposer avec nous, rue de Paris, près de la halle, l’appartement y est commode et nous avons de la place. Eh ! Si la compagnie de quelques Bourguignons ne vous dérange pas bien sûr !
    — Monsieur, répondit Antoine de son plus beau sourire, je marcherais sur les mains pour quitter cette porcherie.
    L’affaire conclue, les deux hommes soupèrent frugalement d’une cuisse de poulet étique accompagnée d’un mauvais pain noir et d’un quart de vin aigre avant d’aller goûter le confort de leur appartement.

VII
    La première partie de la nuit fut paisible, mais le Toulousain fut réveillé, dès l’aube, par les bruits de la halle. Il entendit les cris que lançaient les verdurières et les poissardes afin d’attirer le chaland, les coups réguliers de marteau à tête de champignon que donnait le cordonnier pour brocher une semelle et les ho ! hisse ! des crocheteurs qui tentaient de redresser une charrette renversée… Antoine se précipita dans la rue. Il lui restait deux bonnes heures avant de retrouver Chabrier devant la salle des Menus Plaisirs et il comptait bien les mettre à profit pour visiter Versailles.
    Les halles Notre-Dame étaient un enchevêtrement de baraques de bois mal bâties, d’édicules branlants, d’auvents percés et de simples accolements de planches dépareillées. Comme dans bien d’autres marchés de France, le pilori se dressait sur la place, menaçant, pour rappeler au peuple les vertus de l’obéissance. Antoine zigzaguait entre les passants, les voitures et les animaux qui vaguaient librement à travers les rues. Il assista involontairement à la mise à mort d’un bœuf que le boucher venait de sortir de l’étable pour le dépecer à ciel ouvert. Une fois la bête saignée, l’équarrisseur introduisit de l’air entre le cuir et la chair à l’aide d’un grand soufflet qu’il manœuvra énergiquement.
    Le voyageur s’éloigna du marché pour faire le tour de la ville. Quand il fut las, il vint s’asseoir près de la fontaine des Chiens-Verts pour regarder le travail des lavandières. Il regrettait de ne pas avoir pris une feuille et un fusain. Depuis sa tendre enfance, ce spectacle lui procurait un vif plaisir. Il aimait entendre le caquet effilé des femmes se mêler aux coups de battoir et au bruit de l’eau ruisselante. Le linge, spongieux, se ballonnait, se torsadait sous les mains vigoureuses des dames blanches. Les plus babillardes arrêtaient parfois la cadence, posaient fièrement le poing sur la hanche pour commérer en paix. Et la ronde reprenait avec son cortège de chants, d’interjections et de persiflages. De tels moments de sérénité manquaient à Antoine. Il était tellement frustré d’une présence maternelle qu’il s’efforçait sans cesse de la reconstituer. Plus jeune, il allait contempler sa nourrice, Lisette, laver le linge dans la Garonne. Il s’évadait en voyant cet ange aux jupons mouillés, rire et travailler gaiement, malgré l’intensité de l’effort.
    Mais le deuil apparaissait toujours comme le revers de l’enchantement. Il n’existait pas d’extase qui ne fût rapidement assombrie par un sentiment contraire. Sa nourrice lui avait raconté l’histoire terrifiante des lavandières de nuit, une légende qu’elle tenait de l’un de ses amants, un colporteur descendu de Bretagne ou du Berry. Après

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