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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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tel effet ? Mme d’Anville était sous l’emprise d’un sortilège que la mauvaise humeur d’Antoine elle-même n’avait pu rompre. Elle s’était comportée avec lui d’une manière étrange, manifestant, non plus ce qu’il croyait être de l’amour, mais une sorte de compassion insultante. Elle avait eu pitié de lui et s’était excusée par convenance de l’avoir froissé. Mais dans le fond, elle se moquait de sa réaction. Rien, sans doute, ne pourrait l’empêcher d’aller à la rencontre de cet homme. Pendant quelques minutes, il eut la sensation terrible de ne plus exister.
    Tout en gigotant dans son lit, il parvint à s’apaiser. Devait-il, pour quelques soupçons, remettre en cause sa belle histoire avec Éléonore ? Après tout, l’enthousiasme de cette femme était compréhensible. Elle s’ennuyait avec son mari et Virlojeux l’avait extraite pendant un moment de sa vie quotidienne ; il la faisait rêver ; il l’écoutait et la divertissait peut-être.
     
    Le lendemain, il eut beaucoup de mal à se concentrer sur son dessin. Il avait demandé à Manon de lui servir de modèle pour l’étude d’un buste féminin. Mais il n’était pas satisfait. Il froissait les feuilles, jetait rageusement son crayon, pestait contre le moindre bruit, au point d’inquiéter la servante qui n’osait plus broncher.
    — Pardonne-moi, Manon, je ne voulais pas me fâcher.
    — Ce n’est rien, Monsieur.
    — Tiens, prends cet argent et rentre chez toi, je n’arriverai à rien aujourd’hui.
    Manon n’insista pas et disparut avec son pécule. Quant à Loisel, il alla se promener dans Paris pour tenter d’apaiser sa colère.
    À l’heure prévue, il se présenta rue aux Ours, chez les d’Anville. Virlojeux n’était pas encore arrivé et Éléonore l’attendait avec impatience. Antoine essaya bien d’entamer la conversation, mais elle ne lui répondait pas ou le faisait de travers, s’interrompant au beau milieu d’une phrase. Elle trépignait, sursautait au moindre bruit venant du couloir et même de la rue. Dix fois peut-être, elle écarta les rideaux pour voir si une calèche ne s’arrêtait pas au bas de l’immeuble. Elle lui parut soudain laide et ridicule.
    Quelqu’un frappa à la porte. Ni le valet, parti en course, ni Manon n’étant là, Éléonore se précipita vers l’entrée.
    — Ah c’est vous, Monsieur, nous n’espérions plus votre visite.
    Antoine ne le reconnut pas immédiatement. C’était pourtant bien lui, Virlojeux, il se tenait sur le seuil, avec le même sourire étrange que le jour de leur dernière rencontre. Le jeune homme fut frappé par la métamorphose de l’avocat. Elle était tout d’abord vestimentaire. Il ne portait plus l’habit simple et négligé d’un petit négociant de province, mais celui, plus austère, d’un député du tiers état ou d’un magistrat parisien. Le costume d’un Chabrier avait déteint sur lui, ou plutôt, Virlojeux donnait l’impression d’avoir pénétré la peau d’un représentant de la Nation. Il avait une perruque, mais rien, dans sa mise, ne suggérait l’affectation. La métamorphose était aussi manifeste dans les manières, la façon de parler, ainsi qu’Antoine le réalisa progressivement. L’impression était fascinante et inquiétante. Il y avait toutefois une donnée invariable dans le discours de Virlojeux, l’engouement qu’il exprimait pour les réformes et, comme on le disait alors avec emphase, pour « le bonheur de l’humanité souffrante ».
    — Je suis bien aise de constater que vous vous adaptez si vite à la vie parisienne, dit l’avocat en s’installant dans un fauteuil. Je vous avais promis de vous aider, lors du voyage si enrichissant que nous avons fait ensemble. Mais je vois que vous n’avez besoin de personne ; vous êtes en de très bonnes mains.
    Virlojeux s’était tourné vers Mme d’Anville qui répondit tout de suite à son sourire par un regard amical.
    — J’ai eu en effet de la chance de trouver ici le réconfort d’une nouvelle famille, concéda Loisel.
    — Et surtout l’attention d’une femme d’exception, compléta Virlojeux.
    Antoine sursauta comme un amant surpris dans les bras de sa maîtresse. Ce Virlojeux était un charmeur, mais il ne pouvait tout de même pas posséder le don de seconde vue. Il donnait pourtant le sentiment crispant de pouvoir lire ses pensées.
    — Mme d’Anville s’intéresse beaucoup à votre bonheur. Elle m’a

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