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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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affaire publique, du lever au coucher, des naissances aux enterrements, en passant par les mariages et les accouchements. Alors pourquoi la reine se cachait-elle, pourquoi se dérobait-elle si fréquemment aux regards du peuple ? Loisel en voulut assez sottement à Marie-Antoinette de ne pas être présente, à sa convenance, le jour où il daignait, lui, petit Toulousain, lui faire l’honneur d’une visite. Par chance, il mesura assez rapidement le ridicule de son irritation. Il se reprit et décida de rentrer à Paris pour écrire à son père qu’il venait de visiter Versailles et d’y croiser son roi.

VIII
    Ce soir-là, il soupa avec les d’Anville. Avant de frapper à leur porte, il avait pris soin d’ôter ses fripes et de plonger sa tête dans une bassine. Éléonore ne le quitta pas un instant des yeux. Antoine s’agaça un peu de cette assiduité dont la veille il s’était pourtant flatté. Il n’aimait manifestement que les femmes insaisissables. L’absence et l’inaccessible excitaient ses sens, le stimulaient et finissaient par accaparer toute son énergie. Il se comportait avec la présomption des jeunes hommes qui dédaignent les conquêtes quand ils les imaginent acquises. En réalité, Loisel s’échauffait l’esprit car, pour l’heure, il n’avait toujours rien obtenu.
    La conversation roula exclusivement sur la visite du peintre à Versailles.
    — Je n’ai pas vu la reine, ronchonna-t-il tout en finissant de mâcher et en s’essuyant le museau. On dit que l’Autrichienne passe ses journées à badiner dans son cloître de polissonne.
    Antoine avait lancé ce trait davantage par aigreur que par réel mépris pour Marie-Antoinette. Il voulait dissimuler ses complexes par des railleries faciles. Il pensait en outre partager les idées en vogue et se faire accepter des Parisiens. Les réactions de ses hôtes trompèrent toutefois ses espérances. Étienne d’Anville parut acquiescer, il est vrai, mais Éléonore répondit d’un ton sec qui n’était pas exempt de reproches.
    — J’ai appris au contraire, par l’amie d’une suivante de la reine, que Sa Majesté passait l’essentiel de ses nuits à veiller le Dauphin. Quand elle doit le quitter, au petit matin, elle ne peut s’empêcher de pleurer. On dit que l’enfant est fort mal et qu’il ne passera pas la nuit.
    Ces mots transpercèrent le cœur d’Antoine. Il resta figé et se mit à rougir de honte. Il éprouva un sentiment de culpabilité oppressant et démesuré, comme s’il était lui-même responsable de l’agonie du Dauphin ; il avait eu autrefois la certitude, tout aussi étrange, d’avoir causé la mort de sa mère et celle de son frère. Sur le moment, il eut envie de disparaître, tant il était persuadé d’être un monstre.
    — Tout cela, ma chère, assura Étienne d’Anville en grommelant assez froidement, n’est relaté que par des proches de la reine. La Cour voudrait transformer la sorcière en bonne fée, c’est bien naturel. Mais je vous assure que personne n’en parle à Paris, ni même à Versailles.
    — Et moi je vous répète, mon ami, que je le tiens de source sûre ; il ne s’agit pas d’une fable.
    — Bah ! fit simplement d’Anville, en haussant les épaules.
    Il émietta un bout de pain qu’il jeta machinalement dans sa soupe.
    Antoine le considéra avec répulsion. C’était en quelque sorte sa propre image, vieillie, qu’il crut distinguer dans un miroir. Il réalisa soudain le manque d’indulgence de cet homme dont, le premier soir, il avait pourtant surpris l’expression pathétique à la lueur d’un flambeau. Éléonore lançait des regards désapprobateurs à son mari. Elle avait bien noté le trouble d’Antoine. À la fin du repas, alors que le maître de maison s’absentait pour régler une affaire, elle s’approcha du jeune homme et lui prit la main qu’elle serra chaleureusement contre son sein.
    — Si vous saviez à quel point je suis heureuse de vous savoir près de moi…
    Son regard débordait d’une émotion authentique, proche de celle que le jeune homme, encore tout contrit, venait de ressentir à propos de la reine. Le Toulousain était embarrassé ; il ne savait pas quoi répondre ; de retour dans la pièce, Étienne d’Anville les surprit dans cette position intime. Mais le marchand détourna rapidement les yeux, comme s’il n’avait rien vu, tandis qu’Éléonore retirait sa main. Loisel ne comprenait pas un tel manque de

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