Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
Vom Netzwerk:
prédilection pour les bambochades. Laissez donc ces figures ignobles aux peintres flamands. Pourquoi se contenter de copier la nature sans aucune recherche d’élévation ? Vous relevez ce que la société a de plus bas, de plus vil. Les Hollandais, les Flamands ont abusé de ces sujets ; les estaminets, les tabagies, les ivrognes, les matelots, les danses paysannes et tant d’autres scènes de cette espèce, offusquent le regard plus qu’ils ne le réjouissent.
    — C’est là pourtant, Monsieur, avec l’antique, tout ce que j’aime… Mais, si telle est votre volonté, je m’emploierai à étudier des sujets plus nobles.
    Desprez scruta attentivement Antoine. Malgré l’étroitesse de son esprit, il ne pouvait ignorer que derrière cet acte d’allégeance se dissimulait une mordante ironie. Le Toulousain n’était pas le premier dont la carrière était soumise à la fatuité d’un imbécile. Il pensait avoir trouvé un compromis qui lui permettrait de ménager sa propre fierté et de répondre en même temps aux exigences du maître. La tactique rudimentaire de Desprez consistait à alterner constamment le chaud et le froid ; il distillait une flatterie après une méchanceté, une gentillesse après une saillie. Il s’acharnait à déstabiliser son interlocuteur dont il aiguillonnait les points faibles afin de le dominer. Si la victime répondait et se mettait en colère, elle passait pour l’agresseur. Si en revanche, elle supportait en silence les rodomontades du maître, elle risquait de végéter dans le rôle du souffre-douleur. En vérité, dans les deux cas, Desprez l’emportait. La seule manière de lui échapper – comme Éléonore l’avait compris – était d’afficher une indifférence relative. Et c’est bien ce que tentait de faire Antoine Loisel.
    Satisfait de voir que l’élève ne bronchait plus, Desprez se fit plus doux.
    — Je ne crois pas avoir besoin de vous interroger longuement sur la technique dont vous maîtrisez les fondements. Dites-moi seulement une petite chose et nous en terminerons là. Utilisez-vous la terre d’ombre dans la peinture à l’huile ?
    — Il faut au contraire l’en bannir. Elle est fort bonne en revanche pour la peinture à la détrempe. On la préfère aux ocres brûlées, parce qu’elle n’est pas sujette à tirer sur la couleur de brique, défaut ordinaire de la plupart des Frascanis d’Italie. Les belles laques, mariées à propos avec la terre d’ombre, font une couleur des plus amoureuses.
    — Bravissimo… Et la cendre bleue ?
    — C’est une couleur perfide à l’huile et charmante à la détrempe ; elle y tient même un des premiers rangs car on peut la substituer à l’outremer. Pour être complet, les noirs d’os et d’ivoire doivent être exclus de la gouache ; il ne faut y employer que le noir de charbon. Quant à la terre de Cologne, elle est très bonne, mais seulement pour les glacis des ombres fortes ; on la mélange pour cela avec de la laque brune et de la graine d’Avignon.
    —  Ottimo , ottimo … Monsieur ! Eh bien, je crois qu’avec beaucoup de travail, nous pourrons peut-être faire de vous un bon peintre.
    Antoine savait désormais qu’il fallait prendre une telle conclusion pour un compliment et il s’inclina avec modestie.
    — Soyons brefs, jappa encore Desprez. S’il vous plaît, Moreau, expliquez les démarches qu’il faut suivre pour intégrer notre maison.
    — Fort bien. Elles sont très simples. Vous devez vous présenter devant les membres de l’Académie royale avec un tableau de votre composition. Si vous êtes agréé, à la pluralité des voix, Monsieur le Directeur vous donnera un sujet à peindre pour votre morceau de réception.
    — Messieurs, proclama Antoine en jubilant, considérez donc que je suis déjà à l’ouvrage !
     
    Avant de quitter les lieux, le jeune homme examina les toiles de Desprez qui étaient exposées au Louvre. Il fut frappé par la grande maîtrise technique du maître. Les couleurs étaient chatoyantes, les proportions parfaitement restituées, le trait élégamment dessiné. Mais la peinture n’avait aucune âme. Un tel constat l’apaisa un peu. Il craignait tellement de ne pas être à la hauteur que la médiocrité des autres le rassurait. Il s’en retourna donc gaiement chez lui, repensant mille fois au chef-d’œuvre qu’il allait soumettre à l’Académie.
    Pendant les semaines suivantes, il partagea son temps entre le travail,

Weitere Kostenlose Bücher