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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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d’atténuer la catastrophe. Dieu ! Il lui avait parlé, à elle, directement, sans le truchement du chaperon et en la regardant droit dans les yeux.
    — Peut-être pourriez-vous lui faire visiter le Louvre, suggéra Gabrielle, intervenant comme un curé qui voudrait ramener ses ouailles à la sainte messe.
    — J’en serais enchanté, murmura Antoine.
    Il avala sa salive avec difficulté et s’empressa de rechercher une nouvelle phrase.
    — Resterez-vous longtemps à Paris, Mademoiselle ?
    — Non, malheureusement, je pars demain pour le Bocage…
    Antoine ne put dissimuler son désarroi.
    — … mais je reviens dans un mois, bien avant la fin de l’été, ajouta-t-elle aussitôt avec une lueur de complicité dans le regard.
    Le Toulousain, qui allait vite en besogne, prit cette annonce pour une promesse. Sa langue se délia ; il devint volubile. Il interrogea Amélie sur son pays et, voyant qu’elle prenait plaisir à la conversation, lui demanda toujours plus de détails. Il souhaitait aborder mille autres sujets, mais la présence de Gabrielle, l’œil farfouilleur et indiscret qu’elle posait constamment sur eux l’en dissuadèrent. Ils se quittèrent à la tombée du jour. Antoine préféra rentrer à pied, afin d’évacuer l’énergie qui le submergeait. Il bousculait les passants en riant, en chantonnant à voix haute, en souriant aux plus rebutants des mendigots et aux plus laides des mégères. Puis, soudain, lorsqu’il referma derrière lui la porte de sa chambre, il eut l’impression de suffoquer.

VI
    Comment vivrait-il un mois entier sans la voir ? Il crut que le travail serait, une fois encore, le meilleur des assommoirs. Il se précipita le lendemain à Saint-Germain, près de l’Abbaye, dans l’imprimerie où Virlojeux s’apprêtait à publier les premières feuilles de son journal. En chemin, il constata que la ville était toujours en état de siège. Des canons flanquaient l’entrée des marchés et la porte des églises ; les monastères avaient des allures de casernes ; les rues, les carrefours, ressemblaient à des camps retranchés. Il avança au milieu des jurons de charretiers, du martèlement des forges, du fracas cadencé de la musique militaire, cédant le passage aux convois de blé qu’escortaient des citoyens en armes. Ici et là, des Parisiens, parés des couleurs nationales, se dirigeaient en procession vers les temples. Il traversa enfin le fleuve jaune, humant ses relents cadavéreux et douceâtres, brûlant de se jeter dans l’action, la tête tout enfiévrée d’amour et de politique.
    L’imprimerie ouvrait sur une cour intérieure. C’était une longue salle rectangulaire où régnait l’effervescence d’une besogne qui ne supporte aucun délai. Mais l’impression de désordre n’était qu’apparente. La méticulosité s’accommodait toujours de la hâte et les mouvements les plus rapides s’effectuaient avec agilité. Près de l’entrée, les compositeurs accomplissaient leur tâche ; les uns sortaient les formes des armoires ou de la tremperie, les autres portaient les lignes justifiées sur la galée. Le plafond, en caissons de bois, était parsemé de cordes sur lesquelles séchaient les feuilles fraîchement imprimées. Antoine renifla cette odeur agréable d’encre et de papier qui lui évoqua quelque lointain cousinage avec ses propres fabriques. Il chercha Virlojeux, mais ne le vit pas. Les presses se trouvaient dans la seconde partie de la salle, éclairées par de grandes croisées.
    Le Toulousain distingua un homme assez replet qui gigotait comme un beau diable. À sa façon d’épier la moindre attitude des ouvriers, de froncer les sourcils pour anticiper leurs erreurs, il comprit qu’il s’agissait du maître des lieux.
    — Va donc me chercher deux perles , une mignonne , et trois petits romains en gros œil, commanda-t-il à l’un des apprentis, un petit rouquin qui paraissait un enfant.
    Il tourna la tête vers Antoine, l’interrogea du regard, comme pour lui demander : « Qu’est-ce que vous faites là ? » Puis, alors que le peintre entrouvrait la bouche, il lui ordonna d’un geste de se taire.
    — Matthieu, beugla-t-il, en s’adressant à un ouvrier. Baisse donc ton mordant, tu vas encore me faire un doublon… Je veux un silence de moine ou je vous botte à tous le derrière. Si je vois l’un de vous manger pendant le travail et qu’une seule miette tombe dans le cassetin, il ira se faire embaucher

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