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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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apprendre des femmes… Avec elles il ne faut jamais paraître trop hésitant… Mais parlons plutôt du rendez-vous. J’ai confié à Mme de Nogaret l’intérêt que vous portiez à sa nièce. À vrai dire, elle s’en était aperçue elle-même. Nous sommes convenus que vous iriez vous promener tous les deux, sous sa surveillance bien sûr. Cela vous convient-il ?
    — Je… je ne sais comment vous remercier ?
    — Vous le savez au contraire.
    Antoine fut surpris par cette réponse, par le sans-gêne qu’elle recelait. Quel était l’objet du marchandage ? Virlojeux faisait allusion à son journal, sans doute…
    — Je vous suis tout dévoué, Monsieur.
    — Appelez-moi Gaspard. Entre nous, pas besoin de ces simagrées d’aristocrates.
    — Vous passez facilement pour un des leurs…
    — Il suffit de les observer, comme les autres. La forme, les apparences, le langage, tout cela est si facile à pénétrer. La nature humaine n’est pas aussi compliquée qu’on le croit. Débarrassez-la de tous ses oripeaux, ôtez-lui son masque social, et vous retrouverez quelques fondements assez simples, souvent façonnés dans la même ordure : la haine et l’envie, le pouvoir, la vanité, la superstition, les amours perverses… Il suffit ensuite d’enrober toutes ces belles âmes de leurs rubans ou de leurs guenilles ; il ne reste plus qu’à parler l’argot, le langage de la Cour ou le sabir du marchand, et le tour est joué.
    C’était la première fois qu’Antoine constatait chez Virlojeux un tel dégoût cynique de l’humanité, une misanthropie si contraire aux principes qu’il affichait ordinairement. Le peintre était décontenancé. En raison de sa jeunesse, il éprouvait le besoin d’être rassuré quant à la noirceur absolue de ses congénères. Il y avait, dans la confidence de Virlojeux, quelque chose de glaçant, comme une vision fugitive et sans aucun filtre de la mort. Il fallait la repousser tout de suite et, au besoin, la nier.
    — Heureusement, votre foi dans l’homme, dans la Révolution, votre amour du peuple, tout cela vous guide…
    — Bien sûr…
     
    Lorsque Antoine quitta Virlojeux, la perplexité de l’abbé Renard lui revint en mémoire. Il se posa toutes les questions possibles, sauf la plus essentielle. Pourquoi l’homme lige du duc d’Orléans s’intéressait-il à lui ? Dans sa chambre de la rue Mauconseil, il fut bientôt accaparé par son rendez-vous avec Amélie de Morlanges. Comment s’habillerait-il ? Que dirait-il ? Quelle attitude adopter avec une jeune fille flanquée d’un chaperon ? Il fit les cent pas dans la pièce, se répétant des formules de politesse, imaginant quelques bribes de conversation. Il était à la fois agité et heureux de pouvoir maîtriser cette rencontre ou plutôt de s’en donner l’illusion. Antoine, qui avait pourtant séduit de belles Toulousaines, ne pouvait croire qu’une personne aussi charmante qu’Amélie pût se soucier de lui. Elle n’était pas de ces paysannes fraîches, dodues et basanées qu’on renverse gaiement sur la paille, ni de ces fausses prudes qui s’abandonnent au premier clin d’œil.
    Il se rendit à Saint-Germain avec une demi-heure d’avance. Il essuyait ses mains moites tout en errant dans le quartier. Il s’était habillé simplement, ce qui agrémentait son charme viril. Un gilet, une veste de bouracan, un habit gris de fer, un chapeau à trois cornes aux bords élimés, formaient tout son accoutrement. Il se présenta devant l’hôtel de Nogaret. Gabrielle l’accueillit avec la commissure des lèvres plissée, le visage chafouin, l’œil évasif. Elle avait la mine d’un malade qui vient d’avaler une purge et sourit pour plaire au médecin. Mais Antoine la regardait sans la voir et ne l’entendait pas davantage. Son attention glissait constamment vers Amélie. La jeune fille était assise sur un sofa vert olive, la tête tournée vers la fenêtre donnant sur la cour intérieure. La lumière tamisée du salon se diluait dans l’éclat adamantin de son regard. Elle se tourna vers lui avec une expression accorte. Il la salua à son tour d’une légère inclination.
    — Eh bien ma nièce, où voulez-vous donc vous promener ? demanda Gabrielle.
    — Si nous allions au Luxembourg, répondit Amélie, radieuse, c’est un bel endroit, et surtout très calme. Nous pourrions y parler en paix.
    — Le Luxembourg ? Vous n’y pensez pas ! On s’y ennuie à mourir. On

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