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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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n’y trouve que des prêtres, des douairières, des étudiants et quelques vieux marquis. À votre âge, on fuit ce genre de catafalque.
    — Les Tuileries alors ? osa Amélie d’une voix douce.
    — Ma chère, vous allez de mal en pis ; nous y serons au contraire bousculés par la foule.
    Gabrielle prit un air philosophique.
    — Il est vrai qu’on n’y chahute plus les jeunes filles, mais… Je crois que Longchamp serait une bien meilleure idée. Nous y verrons de belles choses, les équipages à la mode, les personnes les plus élégantes. Ce décor sied à votre rang.
    Gabrielle était de ces femmes qui feignent le dialogue pour mieux le diriger. Elle n’en faisait toujours qu’à sa tête. Antoine pensait, comme Amélie, que le calme conviendrait davantage à sa timidité et lui permettrait de se concentrer sur la conversation. Et voilà que Gabrielle leur imposait une promenade mondaine, une exhibition festive. Était-ce bien la même femme qui, hier encore, ressemblait à un ermite en anagogie et qui s’engouait aujourd’hui avec tant de frivolité pour la mode ? Il fallait obtempérer. Ils partirent tous les trois en fiacre pour Longchamp. L’embarras des deux jeunes gens était manifeste ; ni l’un ni l’autre n’osaient parler. Ils se contentaient de s’épier le plus discrètement possible comme deux petits animaux fragiles se reniflent à distance ou volettent autour du même nid. De temps à autre, le visage d’Amélie s’empourprait ce qui lui donnait l’air encore plus engourdi. Le silence de Gabrielle ne leur facilitait pas la tâche. Une expression étrange, une lucidité sombre pesaient sur le front nébuleux de la duègne. Mais dès qu’ils arrivèrent aux Champs-Élysées, son visage s’illumina.
    La scène dominicale ne manquait pas d’allure, même si elle ne pouvait rivaliser avec les fastes de la semaine sainte. C’était alors un étalage d’excentricité, d’élégance et de luxe. Comme l’on paraissait loin, ici, de la poussière et du sang de la Bastille ! La lumière de juillet, presque aveuglante, accentuait l’effet enivrant et la beauté violente des couleurs, exacerbait la blancheur immaculée des chapeaux emplumés, le relief pommelé des floches et des panaches, scintillait sur les dorures des carrosses, les ferrures des harnais et la croupe lustrée des chevaux. De petits-maîtres, juchés sur des cabriolets rapides, conduisaient leurs montures avec agilité.
    — Ah ! Si vous aviez pu assister aux dernières promenades de Longchamp, soupira Gabrielle avec nostalgie tout en se gorgeant du spectacle. On croisait des voitures peintes en blanc, ornées de myosotis, des carrosses coquille d’œuf rehaussés d’entrelacs vert tendre ; des whiskys en diable, des phaétons garnis de vis-à-vis à l’anglaise, à panneaux ornés d’Amours sur fond lie-de-vin… À la Pâques de 1785, j’ai même vu un Anglais paraître dans un carrosse d’argent, traîné par des chevaux ornés de marcassites. Tout le harnais, jusqu’à la martingale, était constellé de pierres précieuses. Une pure féerie…
    Amélie et Antoine répondirent par politesse, sans marquer d’intérêt pour l’ennuyeuse réminiscence. Le Toulousain n’avait qu’une obsession : quelle phrase allait-il bien prononcer ? Il venait en effet de réaliser que, depuis leur première rencontre, Amélie et lui ne s’étaient jamais parlé directement. Il devait en prendre l’initiative. Sa tête bourdonnait ; il sentait un sang épais et chaud lui fouetter les tempes. Plus il y songeait, plus il était paralysé. Il avait beau mettre en parallèle son audace du 14 juillet, se répéter que la grande dame de pierre qu’il avait violentée ce jour-là était bien plus impressionnante qu’une vierge de dix-huit ans, rien n’y faisait. Et puis que dire ? Seules des banalités lui venaient à l’esprit. Amélie le trouverait certainement grotesque et l’idylle s’achèverait avant même d’avoir commencé.
    — Est-il gênant pour vous qu’on vous regarde peindre, Monsieur Loisel ? demanda subitement la jeune fille.
    — Qu’on me regarde peindre ? répéta Antoine comme un ahuri de Charenton… Eh bien, je…
    Il allait dire : « Tout dépend de la personne qui m’observe » mais il se mordit les lèvres avant de prononcer une phrase aussi burlesque.
    — Votre présence ne pourrait que m’inspirer.
    C’était une platitude, mais Antoine avait l’impression

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