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Dans l'ombre des Lumières

Titel: Dans l'ombre des Lumières Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Dingli
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Lorsqu’il quitta son ami Gaspard, il riait de joie.
     
    Il alla rôder aux alentours de la Bastille pour y trouver son modèle. L’idée d’une supercherie lui traversa un moment l’esprit. Après tout, le moindre promeneur ferait l’affaire. Il suffirait de lui donner un air martial. À l’aide d’une mine ou d’un crayon, ce serait un jeu d’enfant. Mais la droiture d’Antoine lui fit rapidement écarter cette minuscule imposture. Il s’arrêta un moment pour observer la forteresse déchue que des centaines d’ouvriers attaquaient à coups de pioche. Le fracas des blocs de pierre, qui s’écrasaient aux pieds du monstre, lui rappela la grande journée. Mais il sortit de ses rêveries et s’approcha d’un groupe de soldats qui palabraient à l’entrée d’une taverne. Il leur demanda s’ils connaissaient un héros de la Bastille, un citoyen qui accepterait d’être immortalisé pour le compte d’une gazette patriotique. Les grenadiers rirent de bon cœur, se bousculèrent pour être désignés, bramant tous à la fois qu’ils s’étaient montrés, ce jour-là, les plus braves. Ce n’était pas de la forfanterie, mais une sorte de badinage entre lurons qui venaient de tremper leurs moustaches dans du vin de Loire. L’un d’eux, pourtant, ne riait pas et scrutait Antoine. Le Toulousain avait lui-même l’impression de connaître son visage.
    — Nous nous sommes déjà vus, dit le soldat.
    — Ma foi…
    — J’y suis ! Le 12 juillet, c’est à toi que j’ai prêté un pistolet ? Et c’est bien toi qui nous as accompagnés au clair de lune pour foutre dehors nos aristocrates, leurs Suisses et tous ces bougres de petits marquis.
    — Pillorge ! réagit gaiement Antoine.
    — Et oui, Pillorge. J’y étais mon garçon, à la Bastille.
    — Nous aussi, hurlèrent en cœur les autres grenadiers.
    — Et moi aussi, surenchérit le Toulousain.
    — Ah oui ? fit le sergent en fouillant ses souvenirs.
    Il avait la mine méfiante d’un vieux paysan à qui l’on vient de proposer un prix à la foire aux bestiaux.
    — Hum ! Il me semble bien maintenant que j’ai vu quelqu’un qui te ressemblait… et même que je me suis dit ! Saquergué ! Ce serait-ti pas ce sacré Gascon qui vient galoper encore une fois devant la camarde ?
    — C’était bien moi.
    — Mais alors, si tu y étais, pourquoi qu’tu vas pas t’déclarer pour faire partie de la liste des Vainqueurs de la Bastille ? C’est officiel, ça, mon garçon. Nous serons tes témoins…
    — L’important pour moi est de l’avoir prise, et non pas que tout le monde le sache.
    Gédéon Pillorge considéra Antoine avec ahurissement. Comment ! Avoir vécu un tel événement et ne pas le crier sur tous les toits, cette attitude lui échappait complètement. Non pas que le brave homme fût vaniteux, mais c’était un honneur auquel lui-même n’aurait renoncé pour rien au monde.
    Ils se comprirent toutefois à demi-mot et n’en parlèrent plus. Après une brève discussion, le Berrichon accepta de poser pour le Toulousain. Ils se mirent tous deux à l’écart en prenant la forteresse pour arrière-plan.
    Antoine sortit de sa poche un carnet à dessins, une mine de plomb, quelques crayons de couleur et commença à griffonner. Pillorge prit la pose naturellement, comme s’il avait toujours servi de modèle. Il faut dire que le gaillard avait fière allure avec son bonnet d’ourson, son épaisse moustache de grenadier, sa cambrure virile et ce poing fermé sur la hanche qui lui donnait l’air fruste d’un sergent racoleur. Loisel brossa la silhouette, l’habit bleu, doublé de rouge, la veste aux soutaches et aux boutons d’argent, sans oublier la buffleterie chamois, les guêtres, le fusil et la baïonnette.
    Les curieux s’attroupaient et quelques badauds vinrent même planter leur nez dans le dos de Loisel, ce qui l’exaspéra. Quand il eut fini, il montra le dessin à Pillorge, promit de lui rendre visite et courut remettre son travail à Virlojeux.
     
    Deux heures plus tard, il était déjà au Louvre pour causer de son chef-d’œuvre académique avec Desprez. C’était une façon de se donner bonne conscience, de se convaincre lui-même qu’il n’abandonnait pas la grande peinture pour le barbouillage. Dès l’entrée de l’atelier, il comprit que quelque chose avait changé. Le professeur s’était débarrassé de sa mine hautaine ; il manifestait même une sorte de complaisance dans le

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