De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
soviétique de l’allègement du programme.
Il me fixe alors intensément avant de m’interroger, soupçonneux, mais sans agressivité ni réprimande :
— Êtes-vous sûr de ne pas être pour quelque chose dans cette modification ?
J’ai été malgré moi, au décollage de Leningrad pour Kiev, l’interlocuteur de Kossyguine qui accompagne le Général dans son déplacement. Pendant que Kossyguine se fait traduire la presse occidentale rassemblée dans l’avion, les membres de la délégation française se sont assoupis. Kossyguine m’appelle et me fait asseoir devant lui.
— Si nous n’avions pas cet État fasciste de la république fédérale d’Allemagne, les choses iraient pour le mieux en Europe, me déclare-t-il tout de go.
Je ne peux sans répondre laisser passer cette attaque.
— Pour moi, lui dis-je, la République fédérale a toutes les caractéristiques d’une démocratie, avec des élections à intervalles réguliers, débouchant souvent sur des changements de gouvernement. D’ailleurs, c’est vous qui êtes les alliés des Prussiens. En cas de réunification sur les bases que vous préconisez, les choses changeraient rapidement de tournure.
Puis, pour conclure, je précise que, personnellement, j’attends de l’Armée rouge qu’elle maintienne, encore un temps, les divisions de l’Allemagne.
Kossyguine, aimable, rétorque qu’il compte aussi sur l’armée française.
J’ignore alors qu’au cours des conversations le Général a plaidé la réunification allemande. Manifestement, Kossyguine a voulu tester, à travers ma personne, l’opinion d’un Français moyen.
Ce n’est pas tous les jours que l’aide de camp voit le président de la République en petite tenue, dans sa salle de bains ! La seule autre fois c’est durant le voyage en Grèce, en mai 1963.
Le samedi 18 mai, le Général a offert un dîner officiel à l’ambassade de France pour remercier ses hôtes grecs. Le lendemain dimanche, le roi Paul I er doit lui présenter les troupes hellènes à Thessalonique, dans le nord du pays.
Nous sommes logés dans une magnifique résidence, le petit palais Maximos. Tôt le matin, alors que je sors de ma douche, le valet de chambre du Général – un quartier-maître de marine – vient m’avertir que le prince héritier demande à être reçu.
— Priez-le, lui dis-je, d’attendre un instant et faites-le entrer dans un salon.
Mon uniforme endossé à la hâte, je trouve le diadoque botté et sanglé dans son uniforme. Il a vraiment belle allure. Son père, m’explique-t-il, a eu dans la nuit un malaise et il a fallu l’opérer en urgence. Il souhaite donc le remplacer pour la présentation des troupes et, pour ce faire, veut obtenir l’accord du Général. Je lui réponds que celui-ci va bien sûr le recevoir s’il est disponible.
Je me rends alors dans les appartements du couple présidentiel où je trouve le Général prenant son petit déjeuner sur un guéridon, en compagnie de Mme de Gaulle habillée de pied en cap. Lui-même, en robe de chambre écossaise verte – le Royal Stewart ? –, porte un foulard de soie et des escarpins vernis noirs. Comme je lui expose la requête du diadoque, il se lève :
— Je vais le recevoir. Suis-je convenable ?
Non seulement je le trouve convenable mais très élégant. Une fois que le diadoque s’est entretenu brièvement avec le Général, lequel lui a donné son assentiment après s’être enquis de la santé du roi, je le raccompagne à la sortie du palais Maximos. Quelle n’est pas ma surprise de retrouver le Général dans le hall, qui m’interpelle :
— Flohic, prenez garde, vos lacets sont dénoués, vous risquez de chuter.
Je bredouille qu’il m’a fallu me vêtir en hâte et que je n’ai pas pris tout le soin qui convient à ma tenue.
— Je comprends.
Ce commentaire sur le laçage de mes chaussures confirme ce que j’ai déjà rapporté, à savoir qu’il remarquait beaucoup plus de choses qu’on n’aurait cru possible à un homme opéré de la cataracte ; ce qui vient infirmer les rumeurs sur sa cécité grandissante que des esprits malveillants se sont employés à répandre.
Toutefois, sans ses lunettes, il est très gêné. J’ai mis au point avec lui, tacitement, une méthode qui apparemment lui donne satisfaction : elle consiste à lui annoncer discrètement les marches et les obstacles.
À l’approche d’un escalier, je serre sur lui et lui annonce
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